Texte de Robert Lepage et Marie Michaud
Mise en scène de Robert Lepage
Avec Henri Chassé (qui remplace Robert Lepage), Marie Michaud et Tai Wei Foo
La tentation de l'Orient. Prodigieux inventeur, intarissable créateur, ambassadeur du Québec sur les plus grandes scènes du monde, Robert Lepage délivre aujourd’hui une autre créature fabuleuse : un dragon bleu. Le nom seul de cette chimère est une invitation au voyage et rappelle à notre mémoire la désormais mythique Trilogie des dragons, qui constitue sans l’ombre d’un doute un jalon essentiel dans l’histoire du théâtre d’ici. C’était en 1987. Dans un hangar du Vieux-Port de Montréal, les spectateurs vivaient un grand voyage théâtral inscrit à tout jamais parmi leurs plus grands souvenirs de théâtre. Les trois parties de la trilogie fondatrice avaient pour titre Le Dragon vert (1910–1935), Le Dragon rouge (1935–1960) et Le Dragon blanc (1960–1986). Ils nous permettaient d’accompagner la vie de Jeanne et de Françoise, deux amies d’enfance dont nous suivions le destin d’un bout à l’autre du pays, sur trois générations : 75 ans de guerres et de transmissions, de jeux d’amour et de hasard, de projets artistiques et de fascinations pour l’Orient.
À la fin du Dragon blanc, Pierre Lamontagne, artiste visuel épris de culture chinoise, partait étudier dans ce pays qui l’enchantait. Nous le retrouvons, vingt ans plus tard. Il tient une galerie à Shanghai et reçoit la visite d’une publiciste montréalaise venue en Chine à la recherche d’une bonne affaire. Claire Forêt, qui, dans le passé, a connu Pierre à l’École des Beaux-arts, jette un regard bien occidental sur sa vie orientale. Mais au moment où ils vivent retrouvailles et confrontations surgit une artiste chinoise, qui se fait bientôt l’écho de leurs quêtes et des espoirs inassouvis de Claire. Créé par Robert Lepage et par la comédienne Marie Michaud, qui avait déjà collaboré à l’écriture de La Trilogie, Le Dragon bleu reprend un thème cher à celui qui a illuminé la scène du TNM avec La Face cachée de la lune et Le Projet Andersen : celui de l’artiste qui doit passer par l’ailleurs pour parvenir à trouver sa propre identité. Pour ce magicien de la scène, le théâtre est un monde qui peut surgir de n’importe où, une boîte à surprises capable de libérer enchantements et maléfices. Toujours Robert Lepage déploie des prouesses d’imagination et d’habileté narrative, retourne l’histoire comme un gant pour nous livrer un autre pan de sa vie réinventée et nous redire que le soleil se lève à l’est. Il allie le feu du dragon et le bleu du ciel pour donner naissance au Dragon bleu.
Les concepteurs : Jean-Sébastien Côté, Félix Dagenais, Louis-Xavier Gagnon-Lebrun, Michel Gauthier, Jeanne Lapierre, David Leclerc, François St-Aubin
Photo Henri Chassé : Yanick MacDonald
Une production Ex Machina
Crédit photo : Jean-François Gratton
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Dates antérieures (entre autres)
TNM
Du 21 avril au 16 mai 2009
Supplémentaires du 19 au 23 mai 2009
Reprise (avec Henri Chassé) du 9 au 12 juin 2010
par David Lefebvre
Le dragon est le symbole de la force dévastatrice qui vit en toute chose, selon les croyances chinoises, et le dernier texte de Robert Lepage, écrit conjointement avec Marie Michaud. Quatrième roue de l'épopée poétique Trilogie des Dragons (trilogie qui avait été présentée au FTA de 2003), le Dragon bleu nous ramène au personnage de Pierre Lamontagne (Robert Lepage), cet artiste qui cherchait la reconnaissance de son art, exilé en Chine depuis plusieurs années. Vivant dans un entrepôt réaffecté en logement, il attend la visite de Claire Forêt (Marie Michaud), ex de son état et publiciste de renom, venue du Québec pour adopter. La réunion de ces deux êtres ne se fera pas sans heurts, et la jeune artiste Xiao Ling (Tai Wei Foo), que Lamontagne représente, défend et aime, vient aussi mettre son doigt dans l'engrenage.
Après avoir dépeint les quartiers chinois de Québec (maintenant disparu), de Toronto et de Vancouver, Lepage et compagnie nous amènent finalement en Chine. La trilogie nous proposait l'ailleurs ici, la Chine au Canada, les clichés, les rêves, l'orient dans sa splendeur. Le Dragon bleu, lui, nous invite à voir le Québec dans la Chine moderne, d'une manière figurée. Le spectacle s’amorce avec une initiation à la calligraphie, le trait de l'horizon, l'arbre, puis renverse le proverbe et dit que mille images se trouvent dans un seul mot. Le spectacle continue sur un générique projeté : dès lors, le public comprend que la facture visuelle du récit sera très cinématographique. Évoluant sur deux étages, les personnages nous mènent d'un endroit à l'autre d'une manière déconcertante : de l'aéroport à l'appartement, en passant par les trains, une galerie, un bar, etc.
Lepage et Michaud délaissent une certaine part de poésie pour proposer un spectacle plus conventionnel, plus réaliste. Ces histoires d'amour impossibles, ces déclins de vie et cette Chine en pleine révolution ; cette ouverture au monde n'apporte pas seulement que du bonheur et de la prospérité, mais pousse les protagonistes à se questionner fondamentalement sur leur vie et leurs choix. Pierre avait arrêté de créer, puis s'était caché derrière l'art des autres en ouvrant une galerie. Il engouffre sa douleur qu'il a endormie en se faisant tatouer le corps. Claire veut tenter de combler la partie maternelle vide de sa vie en adoptant, pour devenir une femme comblée sur tous les points ; ou cherche-t-elle quelqu'un ou quelque chose pour combler un vide, simplement? La jeune Xiao Ling découvrira une fâcheuse surprise dans son cas... Le dragon bleu est le symbole de la renaissance : métaphore utilisée pour cette Chine qui se modernise, se réveille, mais aussi pour les trois personnages ici présents. Il est invisible et est représenté par la foudre : quelques orages séviront durant toute la pièce, pour nous faire sentir sa présence.
La conception des décors et des éclairages (qui se marient si bien) par Lepage et son équipe nous ont toujours surpris, émerveillés, lors de tous les spectacles de la compagnie Ex Machina. Sans être d'une innovation sans borne, ici, plusieurs moments sont de réels petits enchantements. Les deux chorégraphies de Tai Wei Foo, en ouverture et fermeture du spectacle, l'une dans la lumière et l'autre dans la neige, à l'éclairage interactif, sont magnifiques. Les transitions se font sans effort, avec parfois beaucoup d'ingéniosité. Une autre preuve irréfutable qu'avec de l'imagination, la technologie, la poésie et la simplicité peuvent créer des moments magiques.
Fable triste, sombre et trilingue, sur nos anxiétés, sur les changements dramatiques du monde, de la Chine et de nos idéaux, nous sommes les spectateurs de la fin d'un cycle et le retour aux sources, surtout pour le personnage de Pierre. Pourtant, comme le fleuve Yang Tsé Kiang qui se sépare en trois branches, nous assistons à trois finales possibles, trois hypothèses probables. Parce que notre existence n'est que milliards de cours d'eau, de choix et d'idées, qui se fondent en un grand flux vers la mer de la Vie.
par Isabelle Girouard
La dernière production tant attendue d’Ex Machina, Le Dragon Bleu, est enfin arrivée sur la scène du Trident. Liée à la Trilogie des Dragons, qui fut présentée pour la première fois par le Théâtre Repère en 1985, la pièce aura d’abord été l’objet de séances de travail en juin 2007, puis fut tournée en France presque un an plus tard avant d’atterrir dans la capitale. Elle résulte du travail d’écriture de Robert Lepage et de sa complice Marie Michaud, ainsi que de l’apport de la jeune comédienne chinoise Tai Wei Foo venue s’ajouter au duo.
C’est le personnage de Pierre Lamontagne (Lepage) parti étudier en Chine que l’on retrouve 20 ans plus tard, en plein cœur de Shanghai, où il tient maintenant une galerie d’art. Son amie Claire Forêt (merveilleusement interprété par Michaud), qu’il a connue aux beaux-arts, est de passage au pays pour une raison bien précise. Ces retrouvailles en pays étranger feront surgir bien des confrontations et d’anciens sentiments, mais ouvriront en même temps la porte sur un chemin insoupçonné. En effet, le personnage de la jeune artiste chinoise, Xiao Ling (Tai Wei Foo), viendra modifier le cours de choses.
La Trilogie des dragons et Le Dragon bleu ont été inspirés par la mythologie chinoise dans laquelle les quatre dragons –le vert, le rouge, le blanc et le bleu- symbolisent les saisons. Le dragon bleu est associé à l’hiver, il dort sous la neige. Il représente la mort et incarne la renaissance. Ce sera probablement le troisième personnage, cette jeune artiste, qui viendra fermer la boucle des saisons, au milieu de cette Chine effervescente et moderne. D'ailleurs, c’est avec un point de vue plus réaliste sur le lieu, plus vrai, que Lepage fait évoluer ses personnages, puisqu’il y est vraiment allé. Ainsi, le choc des cultures a bel et bien été vécu. Le recul est évident, et ce qui résulte de cette probable réflexion est merveilleusement mis en scène dans la représentation. En somme, si on se sent tout de même en terre étrangère dans Le Dragon Bleu, reste que les lunettes québécoises à travers lesquelles on regarde sont bien prononcées. Loin de nous la Chine exotique qu’on se surprend parfois à imaginer…
Mais n’allons pas croire que le spectacle manque d’audace ou de spontanéité. Lepage est fidèle à lui-même, et nous surprendra plus d’une fois par son inventivité.L’ingéniosité de la mise en scène, marquée par l’usage des technologies (certains mécanismes motorisés, par exemple) est notable. L’histoire entière est soutenue par ce support, mit en scène à travers le ludisme et l’humour tranquille que l’on reconnait à l'artiste. Cependant, la poésie de cet ensemble est malheureusement ombragée par le manque de maitrise des supports techniques. Certains changements de scènes sont interminables et carrément dérangeants, sans compter les maladresses parfois très bruyantes des techniciens. Espérons que l’équipe saura s’adapter rapidement aux difficultés engendrées par les choix de mise en scène.
Il est de convenance de dire que Le Dragon Bleu est une force tranquille qui dort, dans tous les sens du terme.