Texte de Beaumarchais
Mise en scène de Normand Chouinard
Avec Emmanuel Bilodeau, Catherine B. Lavoie, Normand Carrière, Violette Chauveau, Normand D'Amour, Alexandre Daneau, Bénédicte Décary, Eve Gadouas, Antoine Gervais, Roger La Rue, Catherine Le Gresley, Yves Morin, Éric Paulhus, Gilles Renaud, Louise Turcot
Le Goût de jouir. Manigances, mensonges, tromperies, privilèges des riches, condition de la femme, pouvoir de l’apparence : il y a tout cela dans Le Mariage de Figaro ou La Folle Journée de Beaumarchais. Mais il y a surtout l’humeur et la liberté d’un auteur qui, à la fin du 18e siècle, ouvrait toutes grandes portes et fenêtres, faisait sauter les verrous de la bienséance pour laisser entrer les idées nouvelles. Figaro, le serviteur du comte Almaviva, veut épouser Suzanne, la camériste de madame la comtesse. Mais c’est que le comte, homme autoritaire et jaloux, est aussi un homme volage, qui démontre un intérêt certain à Suzanne et souhaiterait fort la voir succomber à ses charmes. Et puis il entend exercer son droit de grand seigneur et contraindre Figaro à épouser la vieille gouvernante, Marceline. De son côté, la comtesse aimerait beaucoup récupérer son époux, qui la néglige. Jeu d’adultes auquel vient se mêler le jeune page Chérubin, en lequel Almaviva croit trouver un rival et qui aime la comtesse, mais aussi Suzanne, mais aussi Fanchette… Et l’obscurité et les déguisements de provoquer ainsi toute une série de quiproquos où se mêlent le désir et la loi.
Comment faire échouer dans son dessein un maître absolu que son rang et sa fortune rendent tout-puissant ? Telle est la gageure du Mariage de Figaro, une gageure d’autant plus périlleuse à tenir que le projet de l’insolent Beaumarchais est à la fois de faire oeuvre réaliste en peignant « une foule d’abus qui désolent la société » et de demeurer dans le registre de la franche gaieté où « tout finit par des chansons ». 225 ans après sa création, cette oeuvre joyeusement révolutionnaire, pur produit du siècle de Mozart, de ce siècle qui fera rouler la tête du roi, Le Mariage de Figaro est un bouillonnement sensuel et spirituel, une comédie sublime sur fond de conflits sociaux et sexuels, un feu d’artifice où à chaque instant fusent l’intelligence et la liberté. Nul mieux qu’Emmanuel Bilodeau pouvait incarner le malicieux Figaro, donner tout l’élan et la ruse à cet amoureux par folles bouffées, à ce jeune homme ardent au plaisir, ayant d’abord et avant tout le goût de jouir. Après L’Hôtel du libre-échange et Ubu roi, le metteur en scène Normand Chouinard, joyeux officiant de ce mariage d’émotions et de rires, convoque des acteurs pétillants de fantaisie et de charme, dont l’espiègle Normand D’Amour en comte Almaviva, et retrouve sa famille bien-aimée de concepteurs pour un autre moment de pur délice théâtral.
Présenté en tournée lors des Sorties du TNM du 7 février au 19 mars 2009
Une production du TNM
Crédit photo : Jean-François Gratton
par David Lefebvre
L'écrivain Pierre Augustin Caron, dit de Beaumarchais, était un homme politiquement impliqué. Il correspondait à l’époque avec le ministre des Affaires étrangères du roi et a fondé, en 1778, une compagnie qui envoyait des secours aux indépendantistes américains. Au théâtre, il est reconnu surtout grâce au Barbier de Séville, donné en 1775 à la Comédie-Française. Il écrit la suite rapidement, mais Le Mariage de Figaro (qui reprend les personnages principaux du Barbier) n' a été présenté au public français que bien des années plus tard, Louis XVI jugeant l’œuvre dangereuse. Et pour cause : le lendemain de la première représentation, on s'amusait à répéter dans les rues des phrases de Figaro qui dénonçaient les privilèges de la noblesse. On dira par la suite que la pièce a donné plusieurs signes avant-coureurs de la Révolution française, même si cette révolution surprit tout autant Beaumarchais que les autres.
Résumer cette pièce en quelques mots tient pratiquement de l'impossible, tant les intrigues sont légion. Disons simplement que Figaro, concierge du Comte, veut se marier à la belle Suzanne, camériste de la Comtesse, mais que la jeune demoiselle est aussi convoitée par le Comte. La Comtesse, Rosine, est toujours éprise de son mari, mais se trouve blessée par ses actes. Ajoutez quelques autres prétendants, et vous n’aurez qu'une mince partie de l’intrigue générale qui occupe les spectateurs tout au long des cinq actes que dure la pièce, dont quelques scènes ont été remaniées par le metteur en scène Normand Chouinard.
Au menu, tromperies, quiproquos, manigances, duperies, déguisements… Mais aussi problématiques valet/maître, condition de la femme, censure (tout aussi médiatique que gouvernementale, ou royale), privilèges de la noblesse, jalousie, et, surtout, liberté, pouvoir et apparences. Chouinard a su insuffler à cette production un ton plus que festif, déluré, fringant, loufoque, où le burlesque du début trouve une charmante dynamique, grâce au rythme soutenu et au jeu très physique des comédiens. Le mélange des registres (le drame, la comédie) n'en faisait pas une pièce facile à monter, et son côté préromantique est habilement souligné. Emmanuel Bilodeau incarne un Figaro vif d'esprit et de corps, Normand D'Amour s'amuse en Comte séducteur impénitent. La sublime beauté et la présence de Bénédicte Décary (Suzanne) et de Violette Chauveau (la Comtesse) crèvent la scène. Notons aussi Éric Paulhus en Chérubin, amoureux de la Comtesse, Gilles Renaud (Bartholo) et Louise Turcot (Marceline, qui veut marier Figaro), Roger La Rue (Bazile, qui joue aussi le rôle d’un narrateur qui tente de nous expliquer les liens des personnages, mais qu'on rabroue), et Catherine Le Gresley en naïve et douce Fanchette.
Sur scène, on trouve un «compositeur», Yves Morin, qui accompagne les comédiens en musique. Car on y pousse la chansonnette, dans cette histoire abracadabrante, chorégraphies en prime - clins d'oeil assurés à La Nozze di Figaro, l'adaptation à l'opéra du texte par Mozart et Lorenzo Da Ponte. Les chanteurs classiques Catherine B. Lavoie et Antoine Gervais viennent l'y aider.
Les costumes de Suzanne Harel sont tout à fait magnifiques, la scénographie de Jean Bard est imposante, pourtant, en modifiant et en retirant quelques trucs (immenses rideaux, ouverture de fenêtres, etc.) on se retrouve rapidement dans trois ou quatre endroits différents. L'éclairage de Claude Accolas s'harmonise parfaitement avec les éléments de décor et de temps.
Le Mariage de Figaro, proposé par une très jolie troupe à l'énergie étonnante, divertit avec grâce et intelligence, mais n'étonne pas, ni par sa forme ni par son contenu. Par contre, la réussite totale du spectacle repose sur le fait qu'elle est d'une grande accessibilité, et que son humour, tout aussi littéraire que visuel (une scène au ralenti a particulièrement provoqué l'hilarité dans la salle), touche rapidement le spectateur et le fait réfléchir en douce.