Texte d'Harold Pinter
Traduction de René Gingras
Mise en scène d'Yves Desgagnés
Avec Benoît Girard, Noémie Godin-Vigneau, Jean-François Pichette, Hubert Proulx, Patrice Robitaille, Marcel Sabourin
Une femme parmi les loups. Terrible huis clos dans lequel s’agitent des personnages et des sentiments ambigus, dans lequel la vérité et le mensonge sont indissociables et indiscernables, la plus célèbre pièce d’Harold Pinter est une oeuvre où règnent la suspicion et la menace, où les mots servent à exercer le pouvoir, où les mots s’avèrent même être une arme de destruction massive. Nous sommes dans le Londres du milieu des années 1960. À l’époque des Beatles, des premiers films de Jane Birkin, de Twiggy et du Blow-Up d’Antonioni. Max, un ancien boucher agressif et harcelant, vit avec ses deux fils, Lenny et Joey, et avec son frère Sam, chauffeur de taxi. Un soir, alors que tout le monde dort, le troisième fils, Teddy, revient en catimini. Teddy a réussi dans la vie. C’est un professeur de philosophie établi aux États-Unis depuis quelques années. Il revient, accompagné de sa femme, Ruth, une femme trop belle pour lui et dont le comportement apparaît vite assez trouble. Au matin, le vieux Max, d’abord furieux d’avoir été pris au dépourvu, célèbre avec joie le retour de l’enfant prodigue. Et Ruth gagne très vite le coeur de ses beaux-frères, de tous ces hommes qui ne veulent que son bien.
Décrite tantôt comme un panier de crabes, tantôt comme un noeud de vipères, la famille est là, dit-on, pour connaître nos secrets les plus intimes et nous trahir avec ! La famille, avec ses tabous et ses non-dits, ses conflits inexprimés et ses pots cassés, maladroitement dissimulés sous le tapis, est au coeur de cette oeuvre puissante et dérangeante d’Harold Pinter, ce géant du théâtre britannique, récipiendaire du prix Nobel de littérature en 2005. Depuis cinquante ans, Pinter déroule le fil d’une oeuvre qui n’en finit pas de secouer les consciences endormies, de dilater les pupilles sur ce qui se cache sous les apparences : les élans pulsionnels et érotiques, l’amoral et le sordide, l’inexprimé et le refoulé, qui finissent toujours par refaire surface. Dans une mise en scène d’Yves Desgagnés, qui nous revient après deux grands cycles Shakespeare et Tchekhov, et une nouvelle traduction de René Gingras, qui redonne au texte original toute sa puissance et son impact, Le Retour n’est pas uniquement celui d’un fils dans le giron familial. Il marque aussi le retour d’un auteur majeur, trop rarement joué sur les scènes québécoises, et celui du grand Marcel Sabourin sur la scène du TNM. Lui et l’invincible Patrice Robitaille dans le rôle d’un de ses mâles rejetons donneront leur poids de chair à ces deux loups féroces qui accueillent la brebis dans leur tanière.
Les concepteurs : Michel Beaulieu, Martin Ferland, Catherine Gadouas, Judy Jonker, Claude Lemelin
par Cynthia Beauchemin
Dérangeant, violent, fascinant... Autant de mots qui nous viennent en tête lorsqu’on repense au texte d’Harold Pinter. La pièce Le Retour, créée à Londres en 1965, va très loin dans ses propos et vient heurter de plein fouet le spectateur, le déranger dans son confort.
Le Retour, c’est le retour de Teddy (Jean-François Pichette), fils prodigue parti aux États-Unis depuis six ans. Teddy a réussit dans la vie, il est docteur en philosophie, marié à une superbe femme, Ruth (Noémie Godin-Vigneault) et père de famille. Il revient à la maison familiale à l’improviste pour présenter son épouse à ses proches. L’accueil sera fracassant, le père, Max (Marcel Sabourin) étant un être particulièrement contrôlant et dérangé, tout comme les deux autres fils, Lenny et Joey (Patrice Robitaille et Hubert Proulx). Le seul être à peu près normal de cette petite communauté d’homme est l’oncle Sam (Benoît Girard), chauffeur de taxi taciturne. Peu à peu, Ruth saura gagner le cœur de tous ces hommes qui ne lui veulent que du bien, à leur façon.
Tout se déroule dans le salon, huis clos favorisant les échanges, les dialogues tendus, les conflits bien présents, mais qui n’éclatent jamais. La dynamique familiale est mise à l’avant-plan, un univers masculin qui ne connaît pas la censure et qui se laisse dominer par ses pulsions, autant violentes que sexuelles. Même Ruth, seul élément féminin de la famille, est insaisissable, troublée.
Les superbes éclairages de Michel Beaulieu et décors de Martin Ferland viennent accentuer cette ambiance tendue et dérangeante. La mise en scène d’Yves Desgagnés, inspirée de l’œuvre du peintre Edward Hopper, est efficace, mais manque souvent de clarté. Marcel Sabourin nous livre là une performance hors du commun, ayant à porter sur ses épaules un personnage haut en couleurs. Les autres comédiens, notamment Patrice Robitaille, relèvent fort bien le défi qu’impose une pièce aussi dure que Le Retour.
Impossible pour le spectateur d’en sortir indemne!