Du 8 au 18 septembre 2009, 20h
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BlackbirdBlackbird

Texte de David Harrower
Mise en scène de Claudia Stavisky
Avec Maurice Bénichou et Léa Drucker

La confusion des sentiments. Imaginez le local des employés d’une banale usine de matériel dentaire. . Il y a un homme dans la cinquantaine qui sue le malaise. Et une jeune femme qui vient enfin de le retrouver grâce à une photo vue par hasard dans un magazine. Et quand le spectateur saisit ce qu’il s’est autrefois passé entre eux, c’est le choc. Mais ce choc n’est rien à côté de l’accumulation successive de découvertes venant peu à peu révéler l’inextricable nœud de sentiments contradictoires qui les lie à jamais. Un poignant voyage au cœur de ce qui est humain, trop humain.

C’est par la production – unanimement acclamée – du Théâtre des Célestins de Lyon que nous parvient cette pièce coup-de-poing du dramaturge écossais David Harrower. Misant sur le rythme implacable de la langue de l’auteur et une direction d’acteur calibrée au millimètre, la metteure en scène Claudia Stavisky nous entraîne dans les replis les plus secrets et les plus vrais de l’amour et du désir.

Pour tenir ces deux rôles intenables, deux grandes bêtes de scène du théâtre et du cinéma français : Léa Drucker et Maurice Bénichou.

Rédaction : Paul Lefebvre
Source : www.tnm.qc.ca

Les concepteurs : Agostino Cavalca,  Marjorie Évesque,  Christian Fenouillat,  Franck Thévenon

Crédit photo : Christian Ganet

TNM

84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

par David Lefebvre

À l'usine de matériel dentaire où il travaille, Ray, alias Peter, reçoit la surprenante visite d'Una, une jeune femme de 27 ans. Il y a quinze ans, ces deux voisins sont tombés amoureux. Ces deux tourtereaux ont fui, puis consommé leur amour, même si elle n'avait que 12 ans, et lui 40. Pour ce crime, il fut interrogé et enfermé. Il est pourtant sorti de prison, il a changé de nom, et a réussi à se rebâtir une vie plus ou moins enviable, presque normale. Una, qui l'a reconnu sur une photo dans un magazine, décide de lui rendre visite. Dans une salle de l'usine, où une poubelle déborde et des restes de diner traînent partout, s'engage une confrontation difficile. Una veut comprendre, et mettre un terme à cette affaire, mais elle doit aussi conjuguer ses émotions conflictuelles et intenses. Curiosité, colère et embarras se mêlent à cet attachement persistant qu'elle éprouve toujours pour cet homme qu'elle a aimé. Ray tente d'esquiver les nombreuses questions d'Una, perplexe devant les intentions de la jeune femme.

Écrite en 2005 par le dramaturge écossais David Harrower, Blackbird (argot anglais signifiant ex-détenu), traduite par Zabou Breitman et Léa Drucker, ne parle pas exactement de pédophilie, même si la pièce met en scène une relation avec une mineure. Elle aborde plutôt cette zone grise de l'âge en amour, du consentement, et sur les répercussions qu'une telle relation dévastatrice peut avoir sur leur vie respective. Comment une jeune fille se sort indemne d'une liaison comme celle-ci, sans changer de quartier, de voisinage, d'école? Comment un homme réchappe à un procès l'accusant de pédophilie? Peut-on se reconstruire une vie après cela? Peut-on s'accepter, apprivoiser le passé, peut-on l'effacer? Le récit débute tout d'abord d'une manière presque insignifiante. La confrontation est amère. Una est droite, assurée. Elle est cinglante dans ses propos, il pare les coups du mieux qu'il peut, tête légèrement baissée, mais calme. «Je n'ai aucune obligation» lui dit-il, pour se déculpabiliser, pour se détacher de cette situation. Puis, leur discussion devient cathartique : l'un avoue finalement à l'autre ce qui s'est réellement passé cette fameuse nuit, comment il s'est senti, puis ce qui s'est passé le lendemain. Ils sont alors fragiles, sincères, blessés. Le texte est de nature dépouillée, mais complexe. Ce sont des traumatismes à fleur de peau qui jaillissent tout à coup, qui se révèlent après quinze ans au trou. Mais la question reste entière : était-ce réellement une histoire d'amour, entre deux êtres qui se comprenaient entre eux, que la société n'accepterait jamais, ou alors une union malade, tordue, coupable?

L'interprétation des deux comédiens, Maurice Bénichou et Léa Drucker, correspond étroitement à l'image que voulait dégager du récit la metteure en scène Claudia Stavisky. Nuancé, subtil, le jeu miroite une certaine délicatesse, malgré les blessures d'amour, souillé par le délit grave. Mais tout reste principalement au niveau cérébral, l'émotion tarde ou ne passe carrément pas. Certaines scènes, comme celle où Ray renverse la poubelle et projette les déchets à bout de bras, ne semble avoir aucun déclencheur violent perceptible. Un peu à tort, on pourrait ainsi y voir un manque d'investissement des comédiens, un jeu mal assuré ; Drucker et Bénichou restent, tout au long de la pièce, justes et ébranlés, mais ne sont jamais troublants.

Le propos ne choque guère, et leur réconciliation passionnée encore moins. L'ambiguïté sentimentale est peu exploitée, et la tension psychologique est alors affectée. On avance à tâtons, les phrases sont hachurées mais sonnent (heureusement) naturellement. La trame sonore, en sourdine, vient discrètement mettre l'emphase sur certaines parties de la pièce. Le décor est vaste, épuré, et semble emprisonner les protagonistes dans cette aire de repos, derrière une porte jaune, criarde, un endroit qu'ils arpentent de bout en bout.

Sobre mais froide par moment, la mise en scène avait comme pari, semble-t-il, d'écarter le crime au profit de cette histoire d'amour peu banale. Réussi de ce côté, peut-être même un peu trop, on en oublie alors l'enjeu de l'intrigue, les circonstances qui ont mené à ce huis clos qui devrait être encore plus tendu et bouleversant. C'est une Lolita qui rencontre son maître, pour lui retomber dans les bras. Un désir mal éteint, une braise échaudée, un cri final sans écho.

10-09-2009

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