Du 9 mars au 3 avril 2010
Suppl. du 6 au 9 avril 2010 20h, 10 avril 15h et 20h
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Huis closHuis clos

Texte de Jean-Paul Sartre
Mise en scène de Lorraine Pintal
Avec Pascale Bussières, Sébastien Dodge, Julie Le Breton, Patrice Robitaille

Un enfer pour notre temps. Ils sont morts tous les trois, ils ont mérité l’enfer, ils le savent – mais ne sont pas prêts à l’avouer – et voilà qu’un garçon d’étage les fait entrer un à un dans un petit salon fermé décoré avec un mauvais goût d’une étonnante sûreté. En fait, ils sont agréablement surpris de ne pas se retrouver empalés au milieu des flammes : il y a Garcin, un journaliste révolutionnaire, Inès, une employée des postes aigrie et la jeune et riche Estelle, séductrice sérielle. C’est ça l’enfer ? Mais petit à petit, ils en viennent à comprendre avec horreur qu’à eux trois, ils constituent la parfaite machine à se faire souffrir les uns les autres. Pour l’éternité.

Avec Huis clos, Sartre a conçu une brillante mécanique théâtrale pour montrer que si l’on préfère la séduction à la franchise et que l’on laisse au jugement d’autrui le soin de définir sa vie, alors oui, il y a un enfer, et c’est les autres. Avec un humour délicieusement sordide, le philosophe braque un projecteur sur un des coins les plus sombres de la psyché humaine : là où culpabilité et mensonge forniquent pour enfanter le confort de vivre sans conscience.

Lorraine Pintal nous offre le plaisir d’être happés par l’univers intense de la plus célèbre pièce de ce polygraphe de génie qu’était Jean-Paul Sartre. Et pour faire ressortir l’inquiétante intensité des rapports entre les personnages, elle a choisi un trio d’enfer prêt à briser toute bienséance : Julie LeBreton, Patrice Robitaille et cette magnifique actrice que l’on voit trop rarement sur scène, Pascale Bussières

Rédaction Paul Lefebvre
Source : www.tnm.qc.ca

Les concepteurs : Claude Cournoyer, Michel Goulet, Robert Normandeau, Jacques-Lee Pelletier, Marc Senécal, Bethzaïda Thomas

Une production du TNM

TNM

84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

par David Lefebvre

Le philosophe et homme de lettres Jean-Paul Sartre a écrit Huis clos, à la fin de 1943, pour deux raisons. La première, pour le plaisir de réunir sur scène trois amis (même si, finalement, ce ne fut pas le cas), et leur donner une part égale de jeu. Mais comment expliquer qu'ils doivent rester sur scène indéfiniment? L'éternité, puis l'Enfer s'est imposé naturellement à l'esprit de Sartre. Deuxièmement, l'écrivain voulait aborder des thèmes particuliers, surtout en ces temps de guerre, difficiles : le rapport avec les autres, la liberté face aux autres et l'encroûtement dans les habitudes et les vices qu'on ne veut pas changer, qui nous enferme dans une mort symbolique. Quand Sartre écrit «l'enfer, c'est les Autres», il ne veut pas simplement dire que nos rapports avec les autres sont malsains, mais que nous nous voyons seulement au travers de l'autre, nous nous jugeons par les autres. Nous devenons ainsi dépendants d'autrui, comme Garcin, qui veut se faire rassurer qu'il n'est pas un lâche, ou comme Estelle, qui ne peut exister sans qu'un homme la contemple. Et Inès considère qu'elle est méchante, car elle a besoin pour vivre de la souffrance autour d'elle. Les Autres prennent une importance capitale, deviennent juges, et remplacent Dieu. Voilà l'enfer, vu par Sartre.

Huis clos est une pièce au puissant discours philosophique qui s'inscrit dans le mouvement existentialiste - où l'homme est défini par sa propre existence, sa liberté individuelle et ses gestes. Malgré que Sartre croie avoir écrit une pièce plutôt comique, à l'humour noir, on sent beaucoup de révolte, de désespoir et de violence dans ses mots. D'une étonnante simplicité, sa mécanique est pourtant imparable. La torture est vicieuse, psychologique, doucereuse, qui ne fait jamais assez mal pour qu'on en finisse.

La metteure en scène Lorraine Pintal réussit à dépeindre parfaitement, dans cette version, tout le vide que représente Huis clos. Les personnages, au lieu d'entrer dans un petit salon, évoluent dans une magnifique structure de fer, sans mur fermé, créée par les Productions Yves Nicol et réalisé par Benoît Frenière. Même la scène, de chaque côté de cette prison métaphorique, est un trou béant. Tout au long du spectacle, il se dégage une certaine froideur, venant autant des éclairages que du jeu des comédiens. Si cette ambiance dénote de l'esprit tordu des événements et des personnages, elle est aussi son talon d'Achille, qui empêchera certaines personnes d'entrer complètement dans le spectacle.

Patrice Robitaille surprend agréablement, évoluant dans un registre qui n'est habituellement pas le sien. Il interprète avec un certain aplomb, malgré les doutes qui le tenaillent, le personnage de Garcin, cet homme qu'on a exécuté. Pascale Bussières joue avec une rage au coeur cette Inès lesbienne et meurtrière et Julie Le Breton donne chair à une Estelle égocentrique et narcissique, coupable d'infanticide. Il émane de tous les personnages une élégance distinctive, dans la parole et dans les gestes. Sébastien Dodge tire admirablement bien son épingle du jeu en se glissant dans le costume du Garçon, cet employé tout de noir vêtu, chapeau melon sur la tête, qui conduit les damnés vers leur chambre définitive. Rôle peu bavard, mis à part la première scène avec Garcin, il est pourtant bonifié, par quelques mots et une omniprésence fantomatique. Sa présence est remarquable, adoptant une gestuelle rappelant certains mouvements du corps amplifiés à la Jim Carrey.

La notion d'éternité s'impose grâce à quelques subtiles répétitions, savamment établies par Lorraine Pintal, jusqu'à la toute fin de la pièce, où les personnages se voient voués à se répéter sans cesse. Ce cercle sadique est la preuve tangible de cet enfer par les autres ; la volonté de Sartre était, justement, de démontrer que nous sommes libres de briser ce manège, mais que c'est aussi par choix que nous y restons. Comme Garcin, Estelle et Inès, qui demeurent dans la pièce, malgré l'ouverture des portes : ils sont inséparables, ils ont, tous les trois, besoin des autres.

La mise en scène distinguée, le jeu brillant, placé et calculé des comédiens et la scénographie tout aussi simple qu'admirable font de Huis clos un splendide moment de théâtre, tant que notre appréciation ne soit affectée par la froideur qui s'en dégage.

13-03-2010

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