Équipe de concepteurs : Alain Lortie, Isabelle Painchaud, Théa Patterson, Jacques-Lee Pelletier, Anne-Séguin Poirier, Michel Smith, Mathieu St-Arnaud, Rachel Tremblay, Peter Trosztmer
Photo : Jean-François Gratton
En trournée au Québec
8 mars Trois-Rivières (salle J.-Antonio-Thompson)
22 mars Québec (Salle Albert-Rousseau)
25 et 26 mars Gatineau (Maison de la culture)
29 mars Sherbrooke (Salle Maurice-O'Bready)
2 avril Rimouski (Salle Desjardins-Telus)
5 avril Laval (Salle André-Mathieu)
Coproduction Théâtre du Nouveau Monde / Lemieux.Pilon 4d art
par David Lefebvre
Fable millénaire sur l'amour au-delà des apparences (ou, selon d’autres, pour préparer les jeunes filles au mariage organisé), La Belle et la Bête a conquis centaines de générations et a vu son histoire adaptée de dizaines de façons. Madame de Villeneuve, en 1740, fait partie des premiers auteurs à en publier une version, dans son recueil La Jeune amériquaine et les contes marins. Puis, Leprince de Beaumont reprend le récit dans Magasin des enfants en 1758. Les cinéastes Cahn, Marner et Lister s'approprièrent aussi la fable, mais l'adaptation la plus connue reste celle de Cocteau, ou encore, le dessin animé de Disney.
Comment réactualiser ce conte fantastique? C'est la question que s'est posé le dramaturge Pierre Yves Lemieux pour cette nouvelle création signée 4d art. La Bête n'est plus un homme-lion, mais simplement un homme, au coeur si meurtri que son corps au complet est mutilé. La Belle souffre aussi, principalement de la perte de sa mère, de l'abandon de son père et du manque de communication entre sa sœur et elle, imaginant multiples conversations. Elle est ici non pas une jeune victime naïve, mais une artiste peintre à la forte tête, brillante, qui ne croit qu'au présent, en «mourant chaque seconde pour renaître à la suivante». Même si l'on veut nous faire comprendre que ces deux âmes sont dissemblables, leurs quêtes existentielles ne font qu’une, et la fascination de la Belle pour l'homme isolé dans son manoir n'aide que trop facilement l'amour qui naîtra sournoisement chez les deux protagonistes. Dans cet esprit beaucoup plus moderne, la Bête devient la victime, la proie d'une Belle qui a droit de vie ou de mort sur lui. Loin est l'idée du mariage obligé, de l'amour par apprivoisement. Nous naviguons dans les eaux de la séduction du coeur, de l'art (sujet sous-jacent) qui émeut jusqu'aux os, du rejet des fantômes du passé pour enfin embrasser un nouveau jour. Mais rôde une Dame, sorcière ou fée, protectrice démoniaque des intérêts de la Bête – mais, surtout, des siens.
La technologie de 4d art continue d'étonner et de surprendre. Après La Tempête (2005, TNM) et Norman (en tournée depuis quelques années), les concepteurs Michel Lemieux et Victor Pilon démontrent encore une fois tout leur talent de créateurs visuels avant-gardistes. Par de simples panneaux coulissants et un peu de magie technique, l'espace scénique se transforme, passant de l'atelier de la jeune femme au manoir de plus en plus lumineux de la Bête. Personnages virtuels animés, hologrammes, cheval qui galope, pluie torrentielle, ronces qui poussent au-delà de la scène, débordant de partout pour emprisonner les murs du théâtre, la ligne est bien mince entre la technologie au service du texte et la surenchère d'effets spéciaux. Pourtant, de magnifiques moments, très cinématographiques, restent imprégnés dans nos mémoires. Notons, entre autres, les premiers dialogues entre la Belle et sa sœur (Violette Chauveau) qui apparaît sous deux formes différentes, grande et petite, à la manière de la conscience «ange et démon» ; la Bête qui se bat avec son image, sortie d'un grand miroir, ou, encore, cette scène d'amour en songe, entre deux Belles, virtuelle et réelle, en surimpression, et une Bête immatérielle. La qualité des projections est impressionnante, voire inégalée chez 4d art. Le synchronisme des interprètes, avec leur environnement animé, ne trahit aucun point faible. La conception des éclairages, savamment orchestrée par Alain Lortie, permet de percevoir très clairement les comédiens, et ce, en tout temps, contrairement à La Tempête, en 2005. La musique de Michel Smith, inspirante, transporte encore un peu plus loin cette histoire fantasmagorique.
Andrée Lachapelle interprète avec douceur et cruauté la Dame narratrice, Bénédicte Décary, une Belle toute en effervescence, innocence, intelligence et rage, d'une étonnante modernité, et François Papineau incarne une Bête recluse, arrogante, représentant digne d'un romantisme perdu, qui ne demande qu'à se libérer de ses sombres pensées, de sa prison de laideur, par les yeux et le corps d’un véritable amour. Si la férocité du personnage le rend imprévisible, elle n'est pas pour autant repoussante ou intolérable ; l'intensité dramatique, ou plutôt le tempérament bestial, s'efface parfois derrière la détresse, dévoilant ainsi toute la fragilité et la vulnérabilité qui se cache sous chaque cicatrice de l'homme. Il est dommage que le comédien ne joue que très rarement au-devant de la scène, rendant son visage défiguré, symbole absolu de sa souffrance, plutôt difficile à voir.
Conte de fées pour adulte d'une puissance visuelle incontestable, cette version résolument contemporaine de La Belle et la Bête de Michel Lemieux, Victor Pilon et Pierre Yves Lemieux explore de belle façon les blessures d’amour, l’intimité et la rédemption, tout en respectant les codes et les symboles magiques du conte traditionnel – miroir, rose, gants. Pourtant, le spectacle ne nous convainc pas totalement, desservi par une trame narrative un peu trop convenue, qui tangue entre le mode douceâtre et la démonstration peu provocante des élans bestiaux qui sommeillent en chacun de nous.