Équipe de concepteurs : Pascal Alidra-Biron , Salvatore Bellocchio , Costanza Boccardi , Cristobal Castillo , Thomas Cayla , Ortensia De Francesco , Christian Dupeux , Etienne Dusard , Bertrand Guittard , Karim Hamache , Elisabeth Honoré-Berthelin , Pasquale Mari , Elisabetta Pajoro , Valentina Pascarella , Tommaso Pitta , Daghi Rondanini , Annalisa Rossini , Lucio Sabatino , Carlo Sala , Laurianne Scimemi
Photo : Fabio Esposito
Piccolo Teatro, Théâtre de l’Europe (Milan) / Teatri Uniti (Naples)
Présentation TNM / PdA
par David Lefebvre
Deux ans à peine nous séparent de la plus récente visite du Piccolo Teatro de Milan, qui nous avait servi un Arlecchino, servitore di due padroni des plus mémorables. La célèbre troupe italienne est de retour avec une autre œuvre phare du maestro Goldoni, sinon son dernier chef d’œuvre, Trilogia della villeggiatura, ou La trilogie de la villégiature. Trois courtes pièces, comme des feuilletons, où l’on raconte la fin d’une classe sociale, celle de bourgeois qui se ruinent à tenter de suivre une mode et des tendances d’une certaine noblesse. À acquérir la plus belle robe, à séjourner à fort prix dans un lieu de villégiature. Mesquinerie, jalousie, frivolité, vanité, on se retrouve à la campagne pour fêter, pavaner, ne rien faire et dépenser. Le retour à la ville n’en est que plus difficile, alors qu’on affronte les créanciers et que la raison l’emporte, pour le meilleur ou pour le pire, sur les débordements de l’été.
La première partie commence rapidement ; tout est précipitation et contradiction. Puis, l’immobilisme, l’ennui et la nonchalance plutôt comique de la deuxième partie créent un contraste impressionnant. Le moindre mouvement fait sens, la moindre pose fait rire. Le retour à la ville est la pierre angulaire du récit : dans ce théâtre simple, nostalgique, la gravité prend néanmoins le dessus. Les états d’âme se multiplient, on assiste à une histoire d’amour manquée entre Giacinta, son futur mari Leonardo, avec qui elle a signé le contrat de mariage trop rapidement, et l’homme dont elle s’éprend contre sa volonté, Guglielmo. Malgré les moments de joie et d’espièglerie, cette Trilogie est une pièce sur la douleur, la tristesse, la mélancolie. On y part toujours, c’est une fuite incessante : fuite face aux créanciers et aux dettes, fuite de la ville, de l’amour, des représailles. Il y a un brin de Tchekhov dans ce monde alors orageux, désœuvré, finalement résigné. On ne peut s’empêcher d'avoir une pensée pour l'auteur, qui, à la même époque, s’exilait en France, déprimé et malheureux.
C’est dans un espace scénique épuré et relativement simple que la troupe s’exécute. Aucune surenchère : la scénographie ne se compose que de deux murs amovibles et de plusieurs accessoires que l’on change incessamment de place. Et grâce aux jeux d’éclairage, on se retrouve, par la magie du théâtre, à différents endroits sans grand chambardement. La mise en scène de Toni Servillo ne s’embourbe pas dans un étalage inutile ou superflu ; la sobriété et la simplicité sont à l’honneur, tout autant dans la sublime direction d'acteurs que dans la mise en place du spectacle. C'est classique, mais l'attention du spectateur est toujours rivée au texte et aux personnages.
Les mélodieuses répliques en italien fusent à une vitesse fulgurante ; on s’accroche dès le début, comme à une bouée, aux surtitres, qui sont souvent - et malheureusement - sous-projetés ou hors foyer. Il devient rapidement difficile, voire impossible de les déchiffrer ou de les lire en entier. Les personnages de Goldoni, quoique nuancés, sont peu complexes, il est donc relativement aisé de suivre sans devoir absolument tout comprendre du texte. On peut ainsi s’attarder davantage au jeu des acteurs. Notons la performance très solide d’Anna Della Rosa dans le magnifique rôle de Giacinta, tout aussi intelligente, autoritaire que déchirée, qui questionne sans relâche son amour et son honneur. Mentionnons aussi Tommaso Ragno (Guglielmo), à la voix basse et grave, d’un comique imparable, et Toni Servillo, en mesquin et désinvolte Fernandino.
Le metteur en scène de talent réussit à bien resserrer l’intrigue autour du sentiment d’échec des personnages et à maîtriser toutes les possibilités du texte sans tomber, d'un côté, dans la farce grossière ou de l'autre, dans le mélodrame. Pièce en trois temps, la Trilogia della villeggiatura est une véritable chronique de cette époque faste, qui s’impose aisément comme un miroir à celle d’aujourd’hui, où l’obsession des tendances, la vie à crédit et l’investissement dans les loisirs et le plaisir l’emportent souvent sur la sagesse, l'économie et les sacrifices.24-09-2010