Musique Kurt Weill
Arrangements et direction musicale Pierre Benoît
Équipe de concepteurs : Jean Bard, Pierre Benoit, Erwann Bernard, Louis Bouchard, Diane Fortin, Marie-Élisabeth Morf, Jacques-Lee Pelletier, Marianne Thériault
Photo : Jean-François Gratton / Une communication orangetango
Production TNM
par David Lefebvre
L’Opéra de quat’sous, du tandem Bertold Brecht / Kurt Weill, est devenu depuis sa création une œuvre chorale classique, indémodable, qui colle à l’actualité grâce à ses thèmes universels : justice sociale, corruption, pauvreté, cupidité. Sans être ce qu’on appelle communément un musical, L’Opéra de quat’sous, présenté pour une troisième fois au TNM depuis sa fondation, est un spectacle où musique et dialogue vont de pair et sont indissociables, tout en respectant, sinon en amplifiant l’effet de distanciation, cher à Brecht – où les personnages font fi du quatrième mur et s’adressent directement aux spectateurs. Comme le dit l’auteur, nous ne sommes pas dans la vraie vie, mais bien au théâtre !
Robert Bellefeuille a réuni une impressionnante troupe de 21 comédiens pour créer sa vision de cet opéra des mendiants et des mécréants. C’est un spectacle collectif, où les comédiens et les musiciens restent toujours sur scène, comme un band. Mais c’est aussi un spectacle transparent, qui joue avec le concept du théâtre au théâtre : les didascalies sont verbalisées, les micros sont à portée de main, les comédiens jouent de quelques instruments et les musiciens sont incorporés au jeu. Jusqu’à l’impressionnant système d’éclairage qui n’est nullement dissimulé. Le jeu des comédiens, et ce, sans exception, est remarquable. On sent le plaisir d’interpréter les différents personnages, du mendiant qui veut profiter de la générosité du riche de façon professionnelle et sournoise jusqu’au chef de la police corrompu par l’argent et l’amitié indéfectible, en passant par le briguant qui doit laisser le crédit de ses propres crimes au chef de la bande. Serge Postigo, à la note vocale parfaite, se glisse avec délectation dans la peau de Mack the Knife et Paul Savoie éblouit dans le rôle de Jonathan Peachum, marchant et père de Polly, dont s’est épris Mack. Du côté des femmes, notons bien entendu Émilie Bibeau en Polly, qui fait ses premiers pas dans le genre et qui s’en tire avec les honneurs et la savoureuse Danielle Proulx, tout aussi méconnaissable que comique dans le rôle de la mère Peachum.
La mise en scène de Robert Bellefeuille est donc alimentée par l’énergie de la troupe et l’aspect ludique et festif de Brecht. L’œuvre est incarnée, divertissante, très près du style cabaret, mais la mise en scène est convenue, voire très conventionnelle. Les numéros chantés sont sentis, parfois puissants, mais manquent cruellement de mouvement. On ose rarement, hélas ; même avec les prostituées, au numéro de chaises qui rappelle légèrement Nine de Rob Marshall, le public se voit très peu émoustillé. Si la nouvelle traduction de René-Daniel Dubois se veut une tentative de relecture plus près de l’original, plus moderne, peut-être même plus mordante, elle semble pourtant par moment emphatique, et certains choix de mots accrochent l’oreille.
La musique de Weill, arrangée par l’excellent compositeur Pierre Benoit, s’inspire du genre jazz de l’entre-deux-guerres pour créer un style plus américain qu’anglais, aux sonorités de banjo, d’accordéons, de cuivres en sourdine et de piano.
La première partie de L’Opéra de quat’sous surprend et fait inévitablement son effet. Par contre, la deuxième moitié est beaucoup plus terne, moins éclatante, et la finale, par sa trop grande facilité, est plutôt décevante. On passe légèrement à côté de l’aspect plus social, politique et engagé de la pièce, mis à part le discours de Mack, juste avant sa pendaison. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle mouture de L’Opéra de quat’sous propose de formidables interprètes et une ambiance festive qui en ravira assurément plus d’un.