Tout comme l’acteur est l’athlète du coeur, l’acrobate est le poète du danger. Depuis sa fondation en 2002, le collectif Les 7 doigts de la main a acquis une réputation internationale pour sa conception intime de l’art du cirque, où l’exploit de l’acrobate n’est jamais une fin en soi, mais un langage envoûtant pour exprimer la fragile démesure des émotions et des rêves. Dans l’esprit du temps présent, il était follement désirable de faire enfin advenir ce rendez-vous aussi spectaculaire que touchant : la rencontre entre le cirque et le théâtre.
Les 7 doigts de la main ont donc imaginé l’histoire d’un comédien qui se retrouve malgré lui emporté par un fascinant délire au moment où il passe une audition pour « le rôle de sa vie ». Alors, sa mémoire déborde : trop de personnages, trop de souvenirs enfouis, trop d’allers-retours entre la fiction et la réalité. Comme en apesanteur, ses réminiscences personnelles, ses incarnations théâtrales, ses regrets inavoués et ses rêves secrets prennent forme, se déploient, créent une autre vie à partir des instants mémorables de sa propre existence. Et si, comme le disait Shakespeare, le monde était un théâtre dont nous sommes les acteurs ? Si nous avions pu répéter notre premier baiser, aurait-il été un chef-d’oeuvre ? Dans le rôle de l’acteur catapulté au coeur de cet émerveillement scénique, Rémy Girard, accompagné de six acrobates et de la toujours étonnante Pascale Montpetit, illumine encore une fois de son immense humanité la scène du TNM.
Costumes Lucien Bernèche
Musique (composition et arrangements) et vidéo Nans Bortuzzo
Éclairages Éric Champoux
Décor et accessoires Olivier Landreville
Concepteur acrobate et entraîneur en chef Jérôme Le Baut
Assistante à la mise en scène et régie Bethzaïda Thomas
Photo :Jean-François Gratton / une communication orangetango
Durée 1h45 sans entracte
Une production Les 7 doigts de la main
Coproduction Tohu (Montréal) / Les Nuits de Fourvière - Département du Rhône (Lyon) / Espace Jean Legendre (Compiègne) / Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence)
par Daphné Bathalon
Pour cette neuvième création, Les 7 doigts de la main se sont fait offrir une carte blanche par le Théâtre du Nouveau Monde. Les deux metteurs en scène, Sébastien Soldevila et Shana Carroll, en ont profité pour créer un spectacle mêlant cirque et théâtre. On avait déjà eu l’occasion de voir un cirque théâtralisé sur la scène du théâtre de la rue Sainte-Catherine, en 2008, soit Nebbia, de Finzi Pasca, ou même avec plusieurs propositions du Cirque Éloize, mais les créateurs du Murmure du coquelicot souhaitaient pousser l’intégration plus loin, en tissant la trame du spectacle en même temps que les numéros de cirque, et en imaginant des prestations qui s’adapteraient parfaitement au texte.
La carrière de Raymond Lemieur n’a jamais atteint les sommets espérés, mais l’acteur, cantonné aux seconds rôles, a reçu une convocation pour une étrange audition dont il ne sait rien. La femme qui l’accueille, mystérieuse Madame B., lui promet le rôle de sa vie. Littéralement. Pour cela, il doit replonger dans son passé et étaler ses plus intimes souvenirs. Ainsi Le Murmure du coquelicot prend-il son essor.
Ce mariage de cœur entre deux arts de la scène fonctionne-t-il dans cette production qui ouvre la saison 2013-2014 du TNM? Si l’on est charmé par les acrobaties et par la musique qui les berce, on reste néanmoins sur son quant-à-soi, le cœur débranché de la tête, comme si la production ne parvenait pas à fusionner beauté du texte et des gestes, ou à allier parole et émotion. La vague ne nous emporte jamais.
Bien qu’offrant un personnage intéressant, Rémy Girard semble souvent gêné dans ses gestes par les déplacements des acrobates. Son interprétation s’en ressent d’ailleurs : au soir de la première, l’acteur a trébuché plusieurs fois dans ses répliques. La composition que livre Pascale Montpetit paraît quant à elle détachée de l’action, la comédienne adoptant même un ton neutre et parfois emprunté qui, s’il s’explique lors du tableau final, accentue l’impression de détachement ressenti par le spectateur pendant une bonne partie du spectacle.
Les numéros de crique fonctionnent pourtant bien avec l’histoire, s’y intégrant sans paraître plaqués. Les acrobaties surviennent tant avant, pendant qu’après les dialogues entre Raymond Lemieur et Madame B., créant des chocs et des échanges bienvenus. Ils se font gracieusement l’écho de ce que ressent le personnage. Trois femmes hantent ainsi les souvenirs de Raymond, trois muses qui ont marqué sa vie, de la figure maternelle, trop vite disparue, à l’amour d’une vie, vite évaporée. Le numéro de trapèze où apparaît la mère de l’acteur donne lieu à un moment touchant. Autre beau moment : la rencontre des parents de l’acteur, entre le père enraciné dans ses convictions et la mère émue par la beauté des bourgeons qui s’apprêtent à éclore. Des moments où le cirque et le théâtre forment un tout qui parvient à nous émouvoir, des moments comme on aurait voulu en voir davantage pendant les près de deux heures que dure le spectacle. Le texte lui-même pêche par excès de lyrisme, appuyant trop fortement sur le côté mystérieux de Madame B. ou enfilant les métaphores, parfois maladroites, en oubliant de laisser parler les corps des acrobates.
Heureusement, la très belle sélection musicale, appuyée par les compositions de Nans Bortuzzo, vient très souvent à la rescousse de scènes, qui, autrement, nous laisseraient plutôt indifférents tant la combinaison entre texte et émotion paraît froide. Il en est ainsi de la toute dernière scène, qui ne soulève pas la foule. Elle n’a pas l’énergie tendue du premier tableau, qui introduisait le personnage de l’acteur sur les paroles de Brel : « Au suivant! »
Spectacle hybride, Le Murmure du coquelicot peine malheureusement à imposer un style clair, navigant entre un texte poétique bien trop faible pour supporter la structure onirique du spectacle et son chœur d’acrobates. Alors, peut-on parler d’un mariage heureux entre cirque et théâtre? Disons que le spectacle sème quelques graines fertiles, mais qui demandent encore à croître et à fleurir. Il manque à cette carte blanche des 7 doigts de la main, qui ont été très ambitieux – il faut le dire – de l’éclat et une trame plus soutenue pour véritablement s’épanouir.