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Du 16 juillet au 16 août 2014 + supplémentaires 19, 20, 21, 22 et 23 août
Cyrano de BergeracCyrano de Bergerac
Texte Edmond Rostand
Mise en scène Serge Denoncourt
Avec François-Xavier Dufour, Magalie Lépine-Blondeau, Normand Lévesque, Patrice Robitaille, Gabriel Sabourin

C’est extraordinaire : chaque génération redécouvre le chef-d’oeuvre d’Edmond Rostand et, à chaque fois, c’est un événement ! Car toutes les femmes rêvent d’un homme comme Cyrano. Et tous les hommes voudraient être comme lui. Il a du coeur, de l’esprit, du panache. En plus : imbattable à l’épée. Mais, il y a un « mais ». Un « mais » de la taille de son interminable nez : Cyrano se trouve sans grâce et sans beauté. Alors, quand il veut déclarer son amour à Roxane, qui vient de s’éprendre du beau Christian de Neuvillette, tout se complique. Car Christian en est lui aussi amoureux, mais il perd ses moyens dès qu’il ouvre la bouche. Alors il va voir Cyrano, son compagnon d’armes aux cadets de Gascogne, pour apprendre comment parler d’amour… Entre les duels à l’épée et les duels amoureux, entre les éclats de rire et les éclats héroïques, la pièce de Rostand galope à un rythme d’enfer, portée par une langue qui brille comme une lame.

Serge Denoncourt, qui a de nouveau montré son époustouflante maîtrise du théâtre historique avec Christine, la reine-garçon, signe ce spectacle à grand déploiement. Pour incarner ce personnage à la fois terriblement humain et plus grand que nature, il a choisi un acteur qui allie la fougue d’un héros de cape et d’épée au mystère romantique d’un poète amoureux : Patrice Robitaille, aux côtés duquel on retrouve avec joie Magalie Lépine-Blondeau dans le rôle de la séduisante Roxane.


Costumes François Barbeau
Chorégraphie de combats Huy Phong Doan
Conception éclairages Martin Labrecque
Scénographie Guillaume Lord
Assistance à la mise en scène et régie Suzanne Crocker
Photo Jean-François Gratton / une communication orangetango

Production Cyrano Inc.
en collaboration avec Juste pour rire / Théâtre du Nouveau Monde


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Yve Renaud

C’est lors d’un lundi soir de canicule que s’est déroulée la première médiatique de l’indémodable Cyrano de Bergerac, une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et du Festival Juste pour rire. Sous la vigoureuse gouverne de Serge Denoncourt, l’imposante distribution dominée par Patrice Robitaille irradie dans ce spectacle éblouissant.

Créée le 27 décembre 1897 à Paris, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, la comédie héroïque en cinq actes et en vers d’Edmond Rostand a défié le temps, les modes et les courants. Elle s’est imposée comme l’un de ses classiques majeurs de la dramaturgie française, et même emblématique sur la scène internationale, à l’instar d’un Hamlet de William Shakespeare. Perçue également comme un acte patriotique, l’œuvre évoque le climat des sagas d’Alexandre Dumas (Les Trois mousquetaires) tout comme certains drames de Victor Hugo (Ruy Blas). Dupuis 1923, le septième art s’est emparé à plusieurs reprises du personnage libre-penseur au nez proéminent (en plus d’une ébauche d’Orson Welles qui ne s’est malheureusement pas concrétisée), mais il faudra attendre la superbe version de 1990 réalisée par Jean-Paul Rappeneau avec un époustouflant Gérard Depardieu dans le rôle-titre pour passionner les cinéphiles. À la fois populaire par ses histoires de capes et d’épées et poétiques par ses accents tirés du romantisme, la pièce demeure également un plaisir quant à sa langue foisonnante et recherchée. Qui n’a pas tenté de mémoriser la célébrissime tirade du nez du premier acte («C’est un roc!... c’est un pic!... c’est un cap! Que dis-je, c’est un cap?... C’est une péninsule!»)? Malgré la popularité du héros, peu de productions semblent avoir marqué l’imaginaire collectif sur les scènes québécoises, à l’exception du Cyrano dirigé par Alice Ronfard avec Guy Nadon.

Pendant les deux heures quarante-cinq minutes de la représentation, les intrigues autour du célèbre triangle amoureux passionnel se regardent et s’écoutent avec une attention soutenue. À plusieurs reprises, le public a réagi, soit par des rires ou par une forme de retenue émotive lors des moments plus tragiques, surtout lors des deux derniers actes.

La pièce s’amorce en 1640 dans un hôtel de Bourgogne où nous découvrons la séduisante Roxanne (Magalie Lépine-Blondeau), un jeune noble qui l’aime éperdument en secret, Christian de Neuvillette (François-Xavier Dufour), ainsi que le Comte de Guiche (Gabriel Sabourin) qui veut en faire sa maîtresse. Parmi les nombreux autres personnages qui gravitent sur scène, s’impose rapidement Cyrano (Patrice Robitaille), le cousin de Roxanne, toujours en quête d’un public qui écoutera son verbe tonitruant. Reconnaissable par son nez aux proportions protubérantes, celui-ci est secrètement amoureux de sa cousine. À l’acte suivant, à la boulangerie de Ragueneau (Normand Lévesque), Roxanne révèle à Cyrano son amour pour Christian, nouvellement engagé dans la compagnie de Cyrano. Et par la suite, Christian confie à son collègue sa passion pour Roxanne qui le paralyse en raison de son incapacité à lui parler véritablement d’amour. Cyrano lui propose son aide pour conquérir le cœur de la belle ingénue. Jusqu’à une issue poignante s’esquissent d’innombrables péripéties où l’amour et l’honneur seront confrontés aux soubresauts d’une réalité rude rarement réconfortante pour les âmes tendres. Entre l’être et le paraître, les jeux de séduction ne laisseront que des victimes.


Crédit photo : Yves Renaud

Pour tout metteur en scène, Cyrano de Bergerac demeure un défi colossal autant par la longueur du récit que par une succession d’actes se déroulant dans des lieux aussi différents qu’un théâtre, une boulangerie, le balcon de la chambre de Roxanne, un campement de soldats et un couvent. Infiniment doué, Serge Denoncourt réussit ici à enchaîner les différentes scènes aux accents contrastés avec une fougue et une perspicacité perceptibles du début à la fin. Autant dans les séquences de foule où se déploie l’ensemble de la distribution que les instants de délicates confidences intimes (et parfois douloureuses), le rythme s’impose par sa justesse, son réalisme précis et ses nuances toujours authentiques. Par ses atmosphères sombres, ses figures tragiques aux sentiments presque trop puissants pour le commun des mortels et une trame dramatique enchevêtrant l’intime et le politique, son travail s’inscrit dans une continuité avec la magistrale Christine, la reine-garçon (l’une de ses meilleures réalisations) de Michel-Marc Bouchard qu’il nous a récemment proposé sur les mêmes planches. Même si des siècles séparent cette création et Cyrano, on reconnaît une fidélité chez le metteur en scène à traiter des enjeux affectifs et son aisance à plonger dans les abîmes noirs des passions interdites ou secrètes.

Même si sa vision de l’œuvre de Rostand demeure fidèle au drame historique de l’époque (contrairement à sa radicale transposition récente des Liaisons dangereuses au 20e siècle) elle ne tombe pas dans une vision poussiéreuse ou archaïque. Elle dévoile surtout l’intemporalité du propos à la fois ancien et contemporain, sans oublier la richesse d’une langue française qui surprend et caresse les oreilles encore aujourd’hui. Fait à noter, la projection des voix et l’énonciation des répliques (dont les longues tirades du protagoniste) sont toujours d’une grande audibilité pour la salle.  

Les costumes de François Barbeau habillent les personnages avec élégance et sobriété, à l’exception de Brisaille (Samuel Côté), très coloré, efféminé et exubérant. Le décor de Guillaume Lord apporte une dimension imposante à cette production avec ces morceaux de décor qui descendent du plafond, en plus d’illustrer avec maestria les lieux distincts de l’action.


Crédit photo : Yves Renaud

La musique originale, composée par Philip Pinsky, accompagne à plusieurs reprises les états d’âme de cette grande histoire d’amour. Lorsque le piano (dont on sent une influence à la Arvo Pärt) vient appuyer les émotions profondes de Cyrano pour Roxanne, l’effet voulu tend malheureusement vers le mélo. La violence et les déchirements sous-jacents vécus à ce moment s’en retrouvent affaiblis. Ailleurs, les extraits sonores entre les actes, lors de la bataille sanglante et du dénouement, sont d’une force très impressionnante.

Plusieurs médias décrivent Cyrano comme le rôle d’une vie. Patrice Robitaille surprend beaucoup même s’il demeure encore trop tôt pour crier au couronnement d’une carrière déjà fructueuse. Bien que dominant ses partenaires de jeu entre autres par la longueur de ses vers et la stature de son antihéros, il ne les jette pas dans l’ombre. Son naturel lui évite la surenchère ou les effets démonstratifs si tentants. Souvent reconnu pour ses prestations assez viriles (dont une très forte présence dans La Vénus au vison), il rend ici avec une grande sensibilité les déchirures de cet homme condamné à vivre son amour par procuration. Sa tirade du nez se démarque par son éloquente vivacité.

Objet de convoitise, la Roxanne de Magalie Lépine-Blondeau se révèle une fusion heureuse de légèreté, d’assurance et d’une sobriété qui se dévoile surtout en deuxième partie. Parmi la distribution, Normand Lévesque confère une authenticité remarquable en Ragueneau, Annette Garand et Agathe Lanctôt apportent une touche humoristique contagieuse à chacune de leurs apparitions. François-Xavier Dufour en Christian et Luc Bourgeois en Le Bret insufflent une touche de gravité à ces personnages inoubliables. Serge Denoncourt a ainsi orchestré une direction d’acteurs et d’actrices irréprochable.

« Les vers de M. Edmond de Rostand étincellent de joie. La souplesse en est incomparable »,  écrivait le chroniqueur Jules Lemaitre en février 1898. La force de Cyrano de Bergerac ne s’est pas dissipée avec les siècles et conquiert encore les cœurs et les âmes comme en  témoigne l’accueil dithyrambique réservé aux artistes après la tombée du rideau.

25-07-2014