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Du 10 novembre au 5 décembre 2015 - supplémentaires du 8 au 12 décembre 2015 (12 déc. avec surtitres en anglais)
La divine illusion
Création de Michel Marc Bouchard
Mise en scène Serge Denoncourt
Avec Mikhaïl Ahooja, Simon Beaulé-Bulman, Annick Bergeron, Luc Bourgeois, Éric Bruneau, Anne-Marie Cadieux, Louise Cardinal, Gérald Gagnon, Marie-Pier Labrecque, Dominique Leduc, Sébastien René

Le tandem Michel Marc Bouchard et Serge Denoncourt, qui nous a éblouis et touchés avec Christine, la reine-garçon, nous revient avec une nouvelle fiction historique qui (re)compose le passé pour mieux nous faire saisir l’imparfait du présent. Féru d’histoire québécoise, Michel Marc Bouchard s’inspire cette fois-ci de la visite de la divine Sarah Bernhardt à Québec en décembre 1905
pour créer un bouleversant portrait de société : la classe ouvrière naissante est déjà séduite par le capitalisme qui l’écrase, l’Église est à la fois lieu d’oppression et d’espoir et le théâtre commence à apparaître comme le seul territoire où le réel pourrait s’arracher à lui-même.

La ville est en émoi : Sarah Bernhardt arrive à Québec. Nul n’en est plus excité que Michaud, un séminariste que le théâtre attire bien plus que la prêtrise. Nul ne s’en fiche davantage que Talbot, pour qui la prêtrise n’est rien d’autre que le chemin que sa mère lui a imposé pour sortir sa famille de la misère et du travail en usine. Or, la venue de la plus célèbre comédienne du monde bouleversera ces destinées jusque-là terriblement prévisibles.

Et pour incarner celle par qui le théâtre et le scandale arrivent : la magnifique Anne-Marie Cadieux.


Scénographie Guillaume Lord
Costumes François Barbeau
Éclairages Martin Labrecque
Accessoires Julie Measroch
Photo Amélie Bruneau-Longpré
Assistance à la mise en scène et régie Suzanne Crocker
Autres concepteurs : Rachel Tremblay
Visuel Jean-François Gratton

La Divine illusion (Hiver 2016)

Production Théâtre du Nouveau Monde


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

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Critique

Crédit photo : Yves Renaud

Malgré de légères faiblesses, La divine illusion, la nouvelle création de Michel Marc Bouchard, a rejoint son public au Théâtre du Nouveau Monde. Hommage assumé à l’actrice française Sarah Bernhardt,  qui revendique, avec un éclat certain, la nécessité de l’art pour enrayer l’ignorance et la bêtise humaine.    

À l’automne 2012, le dramaturge avait orchestré avec le même metteur en scène, Serge Denoncourt, la remarquable Christine, la reine-garçon, inspirée de la reine Christine de Suède au 17e siècle. La comparaison entre les deux exécutions scéniques du tandem devient donc inévitable. Car La divine ne comporte toutefois pas la même force poétique dans sa dénonciation virulente du Québec d’autrefois et actuel. Le drame s’accompagne de quelques longueurs, surtout durant la première partie.

Heureusement, la signature de l’auteur des Muses orphelines, et plus récemment du très percutant Tom à la ferme, se reconnaît grâce à des répliques acidulées. Par exemple, Sarah Bernhardt rétorque à son imprésario béni-oui-oui sur les «prétentions» du théâtre social, que «c’est un nouveau genre qui, pour l’instant, ne s’adresse qu’à des convaincus qui, bien calés dans le velours, se complaisent devant les injustices rencontrées au coin de chaque rue et qui, l’entracte venu, constatent que le champagne n’a rien perdu de sa saveur». 

Pendant près de trois heures entrecoupées d’un entracte, la pièce se penche sur un fait historique, soit la venue à Québec, en 1905, de la «Voix d’or», célébrée par Victor Hugo. Sarah Bernhardt doit incarner Adrienne Lecouvreur, une héroïne jugée blasphématoire par les autorités ecclésiastiques. Nous rencontrons d’abord l’un de ses admirateurs, le séminariste Michaud. Ce dernier, fils d’un ministre, a grandi avec une cuillère d’argent dans la bouche et ne connaît rien aux difficultés de la vie. Il aura comme nouveau collègue Talbot, orphelin de père et dont la mère travaille de peine et de misère dans une manufacture de chaussures avec son petit frère Léo. Entre les artifices du théâtre, la domination de la religion catholique et le quotidien de la classe ouvrière, des milieux très différents se rencontrent par hasard, sans que la misère et la soumission des plus pauvres ne soient enrayées pour autant.

Si la couleur noire imprégnait autant la scénographie, les costumes que les atmosphères sombres dans Christine, des tons plutôt clairs et blancs accompagnent visuellement les enjeux de La divine illusion. La griffe de Denoncourt s’avère assez ingénieuse par sa représentation dans le même espace des lieux de l’action : le dortoir austère aux secrets inavouables, l’usine où les femmes et Léo subissent de nombreuses exploitations et la loge de «l’Impératrice du théâtre» qui déclame des textes auxquels elle insuffle sa personnalité capricieuse. C’est dans ce dernier décor que les scènes plus cocasses du spectacle se déroulent, entre Sarah et le séminariste guindé, qui apprend à se décoincer légèrement sous ses compliments et ses conseils.     


Crédit photo : Yves Renaud

Par la métaphore de la vedette indocile, Bouchard nous lance en plein visage sa colère et ses récriminations envers une «élite» qui, du haut de sa suffisance, encourage l’exploitation des âmes les plus vulnérables par les autorités en place. Il dénonce autant les pouvoirs politiques, religieux que patronaux, comme les responsables des injustices de la société au début du siècle précédent. Parfois, le ton devient trop didactique et manichéen, mais l’intention demeure sincère et parfois émouvante. La confrontation des univers antagonistes est illustrée avec une précision dès la première rencontre entre Michaud et la famille pauvre de Talbot. Les échanges entre la mère et le jeune bourgeois exposent toute la charge anticléricale de l’auteur, où les prêtres aiment endormir de paroles vertueuses les moins privilégiés, sans atténuer aucunement les inégalités sociales. La violence d’une telle critique religieuse s’inscrit dans la lignée de La Robe blanche de Pol Pelletier. Par ailleurs, des citations de Bernhardt sont reprises, alors qu’elle égratigne une société «sans hommes», sans sculpteurs et sans poètes à l’exception «de Fréchette peut-être et un autre jeune», et où seule prospère l’agriculture.

Tout comme la figure mythique qu’elle incarne, Anne-Marie Cadieux a également personnifié la Dame aux camélias. Le choix de l‘une des muses de Brigitte Haentjens pour jouer Bernhardt demeure ainsi judicieux, surtout lorsque nous voyons son plaisir à rendre l’exubérance de la diva française qui expose les dimensions factices de son art, poudrée, habillée et coiffée comme  une poupée de cire. Par contre, il aurait été intéressant de mieux voir par moment une dimension plus incisive du rôle lors des répliques devant ses détracteurs. Les deux principaux acteurs, Simon Beaulé-Bulman et Mikhaïl Ahooja, sont crédibles, particulièrement le second par la rage qui l’habite et qui imbibe le corps de son Talbot. Parmi les autres membres d’une distribution convaincante, Annick Bergeron en mère courageuse et Lévi Doré en fils sacrifié aux allures d’Oliver Twist bouleversent profondément l’auditoire.

Moins fulgurante que Christine et moins brutale que TomLa divine illusion de Michel-Marc Bouchard constitue tout de même un morceau de grande valeur dans un répertoire qui dénonce toujours les masques empoisonnant les esprits rebelles.

17-11-2015