Le cinéaste et homme de scène François Girard, qui a ébloui la planète avec sa mise en scène de Parsifal de Wagner, avait marqué le public du TNM avec Le Procès de Kafka, adapté à la scène par Serge Lamothe. Il nous revient enfin pour nous offrir sa vision de la pièce fondatrice du théâtre contemporain. Car à travers deux sans-abris, figures à la fois pathétiques et clownesques, Beckett nous propose toute l’humanité dans ce qu’elle a de résilient, de dérisoire et de tragique.
Près d’un arbre chétif au bord d’une route de campagne qui ne peut mener que nulle part, Vladimir et Estragon attendent un certain Godot qui, peut-être, leur donnera du travail. Sont-ils au bon endroit ? Est-ce bien le bon jour ? N’étaient-ils pas déjà là hier ? Et ce monsieur qui surgit avec son serviteur, il dit s’appeler Pozzo. Est-on bien sûr que cet homme qu’on attend se nomme Godot ?
Mais comme Pozzo repart et que Godot n’arrive pas, il faut bien continuer à l’attendre, tuer le temps… et ne pas s’en aller.
Benoît Brière et Alexis Martin, dont l’art peut unir le comique le plus fou au désespoir le plus noir, trouveront sur leur chemin des acteurs à leur mesure : Pierre Lebeau et Emmanuel Schwartz.
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Dramaturgie Serge Lamothe
Scénographie François Séguin
Costumes Renée April
Éclairages David Finn
Maquillages Angelo Barsetti
Assistance à la mise en scène et régie Elaine Normandeau
Visuel Jean-François Gratton
Production Théâtre du Nouveau Monde
Jusqu’au 26 mars 2016, le Théâtre du Nouveau Monde présente une des pièces les plus connues de Samuel Beckett : En attendant Godot. Grâce à un décor magnifique et à une distribution impeccable, le spectacle garde le public en haleine durant les deux heures et demie que dure la représentation.
La pièce se présente sous une forme circulaire, alors que les personnages semblent être figés dans la fatalité du présent. Jour après jour, Vladimir et Estragon revivent la même suite d’actions : attendre Godot, prévoir leur suicide par pendaison, se souvenir des événements flous de la veille, manger des carottes, rencontrer Pozzo et Lucky, recevoir la visite d’un garçon qui leur annonce que Godot viendra plutôt le lendemain. Toutefois, malgré l’absurdité des situations dans lesquelles ils sont plongés, les personnages de la pièce de Beckett démontrent une grande lucidité face au monde qui les entoure. Pour passer le temps, Vladimir et Estragon recourent au rêve et aux histoires pour agrémenter leur existence. Ils jouent à attendre, à se taquiner, à s’imaginer un suicide libérateur ou à imiter la relation dominatrice entre Pozzo et Lucky.
Puisque les pièces de Beckett ne présentent pas d’avancée narrative, elles nécessitent des comédiens virtuoses. Le trois-quarts d’En attendant Godot est constitué de didascalies, alors que chacun des gestes et des déplacements est décortiqué par l’auteur. Alexis Martin et Benoît Brière campent parfaitement les deux clochards que sont Vladimir et Estragon. Frères, amants, amis ? Les deux hommes semblent constituer les deux pendants d’un même être. L’un a des problèmes de vessies et scrute constamment son chapeau, l’autre se plaint d’avoir mal aux pieds et examine ses souliers. C’est un tout autre rapport qu’entretiennent les personnages de Pozzo et de Lucky. Pierre Lebeau, que l’on n’avait pas vu au théâtre depuis plusieurs années, est particulièrement convaincant dans son interprétation mégalomane, narcissique et sadique du personnage de Pozzo. Dans un tout autre registre, Emmanuel Schwartz incarne Lucky, un personnage déshumanisé et soumis, genre de figure christique qui transporte dans ses valises le poids du monde. Le monologue qui livre à la fin du premier acte s’est d’ailleurs attiré les applaudissements emballés du public lors de la première.
Le décor conçu par François Séguin est magnifique. Le scénographe renouvelle ingénieusement le décor habituel de la pièce : un plateau (de théâtre ?) et un arbre. Un grand cercle de sable trône au centre de la scène, duquel s’élève un arbre décharné. Du plafond s’écoule du sable qui s’accumule au centre du cercle pour créer une petite butte sur laquelle les personnages s’assoient à l’occasion. Tout en respectant les directives de l’auteur, Séguin ajoute un dispositif particulier, alors que le décor est reproduit presque à l’identique au plafond. Seules quelques feuilles sur une branche de l’arbre fixé au plafond rompent cette symétrie apparente. Ce jeu de reflet donne l’illusion que les personnages jouent dans un immense sablier, renforcé par l’inversion qui s’effectue au deuxième acte lorsque les feuilles de l’arbre au plafond se déplacent vers la branche de l’arbre sur scène.
Il aura fallu attendre plusieurs années pour que François Girard arrive à rassembler son équipe de création idéale pour monter ce spectacle. Sans contredit, cette attente en aura valu la peine !