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Du 14 au 26 juin 2016
Inconnu à cette adresse
Texte Kathrine Kressmann Taylor
Adaptation Michèle Lévy-Bram
Mise en scène Delphine de Malherbe
Avec Thierry Lhermitte, Patrick Timsit

Max Eisenstein, juif américain, et Martin Schulze, d’origine allemande, sont deux bons amis. Ensemble, ils ont ouvert une galerie d’art à San Francisco. Quand Schulze repart en Allemagne, en 1932, en pleine montée du nazisme, une correspondance s’installe entre eux. Les premières lettres sont chaleureuses et amicales. Peu à peu, Martin se laisse séduire par l’idéologie ambiante. Max s’inquiète du sort de sa sœur, Griselle, une comédienne qui a été l’amante de Martin et qui vit en Allemagne. Quand Max comprend que Martin a refusé de sauver sa sœur, il met en place un plan terrifiant…


Assistance à la mise en scène Joëlle Benchimol
Lumières Marie-Hélène Pinon
Costumes Élisabeth Tavernier
Son Michel Winogradoff
Accessoires Philippe Plancoulaine
Crédit photo ARTCOMART

Durée 1h15 sans entracte

JMD Production Présentée par le Théâtre du Nouveau Monde et Juste pour rire Spectacles


Section vidéo


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

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Critique

Dans la postface publiée à la toute fin du roman épistolaire Inconnu à cette adresse (Éditions Autrement Littératures), le directeur de Story Magazine, Whit Burnett, décrit le récit de Kathrine Kressmann Taylor comme suit : « Avec cette correspondance étonnante (entre un Américain [Max Eisenstein, juif] vivant à San Francisco et son ancien associé [Martin Schulze] qui rentre en Allemagne), la littérature américaine s’est enrichie d’une rareté littéraire : la nouvelle parfaite. » Relativement simple, court, concis, et diablement bien tourné, ce texte de Kressmann Taylor est effectivement d’une efficacité exemplaire. Sa plus grande force est celle de démontrer, à échelle humaine, l’influence insidieuse du fanatisme (un comportement que les Allemands, à l’époque, croyaient pourtant être une qualité) exacerbé par la montée fulgurante du parti national-socialiste, un piège dans lequel tombe Martin dès son retour en Allemagne. La montée d’Hitler au pouvoir et la tragédie impliquant la sœur de Max, dont Martin fut, par sa lâcheté, complice, alors que la chasse aux Juifs est enclenchée, feront voler en éclat l’amitié qui semblait jusqu’alors indéfectible entre les deux hommes.

En 2004, au Théâtre Outremont, les Montréalais avaient pu assister à une version de cette pièce adaptée pour les planches, présentée alors par la compagnie française Les voisins du dessous. Douze ans plus tard, ils ont l’opportunité de renouer avec ce texte, mis en scène cette fois-ci par Delphine de Malherbe. Présentée depuis 2012 au Théâtre Antoine à Paris, la production a la particularité de changer de duo chaque mois : mis à part Lhermitte/Timsit, les spectateurs français ont pu admirer le jeu de Gérard Darmon, Dominique Pinon, Thierry Frémont, Nicolas Vaude, Richard Berry, Frank Dubosc, Bruno Solo, Samuel Le Bihan, Charles Berling, Francis Lalanne, Éric Esmonino, Patrick Chesnais ou, encore, Jean-Pierre Darroussin. Quatre ans plus tard, les Québécois ont, à leur tour, la chance de voir cette mouture d’Inconnu à cette adresse, notamment grâce, entre autres, au désir brûlant de Thierry Lhermitte de présenter le spectacle à Montréal.

La pièce est précédée d’un documentaire maison d’une quinzaine de minutes, présentant l’auteure ainsi que plusieurs images d’archives des années 30. Si la vidéo semble d’abord futile, elle acquiert ensuite une certaine pertinence en contextualisant de manière très accessible l’époque pré-Deuxième Guerre. Quelques informations historiques soulignées lors de la projection viennent porter un éclairage bénéfique à certaines subtilités du texte, spécialement dans les écrits de Martin.

De facture somme toute classique, Inconnu à cette adresse se veut une lecture animée de la correspondance entre les deux hommes d’affaires et amis. Les mots et leur interprétation prennent naturellement toute la place. Pour accentuer ce sentiment, seuls quelques tableaux,  des bureaux, une petite table et des fauteuils prennent place sur scène. Aucun décor : le vide, dans un noir presque absolu autour des personnages, ajoute une dimension tragique et une distance entre les deux hommes. Durant la pièce d’à peine une heure, Max et Martin se jetteront quelques regards ; si les premiers démontrent leurs connivences, les suivants, presque glacials, pleins de rivalité, prouveront les dissentiments naissant au fil des lettres.

Thierry Lhermitte incarne avec brio cet Allemand emporté par les talents d’orateur d’Hitler, malgré ses doutes et ses interrogations. Mais c’est Patrick Timsit, dans le rôle de Max, qui s’avère être une surprise de taille. Le comédien est simplement stupéfiant ; son jeu est  d’une justesse irréprochable. Le comédien réussit à user du ton parfait pour chaque mot, chaque phrase qu’il rédige à son ancien ami ; bouleversant.

En à peine une soixantaine de pages, l'auteure d’Inconnu à cette adresse (publié, rappelons-le, en 1939) parvient à capter l'Histoire en marche et à nous faire comprendre, à travers le drame intime des deux personnages, toute la tragédie qui se joue alors en Allemagne, et qui affectera le monde entier.

16-06-2016