Après l’immense succès de Cyrano de Bergerac et des Trois Mousquetaires, le Théâtre du Nouveau Monde et Juste pour rire renouent leur collaboration autour d’une production théâtrale d’envergure, Roméo et Juliette, qui sera présentée du 21 juillet au 18 août sur la scène du TNM. Et c’est Serge Denoncourt, à la barre des précédents spectacles en été, qui signera la mise en scène de cette oeuvre initiatique du répertoire classique. Entourés d’une vingtaine de comédiens, Philippe Thibault-Denis et Marianne Fortier interprèteront les célèbres amants de Vérone immortalisés par Shakespeare, dont on soulignera le 400e anniversaire de sa mort en 2016. Transposée dans l’Italie des années 30, cette sublime histoire d’amour se déploie sur fond de haine et de violence, en pleine montée du fascisme. Une vision novatrice proposée par un metteur en scène aussi flamboyant que talentueux.
Scénographie Guillaume Lord
Éclairages Martin Labrecque
Costumes Pierre-Guy Lapointe et Serge Denoncourt, inspiré de François Barbeau
Musique originale, compositeur et concepteur sonore Philip Pinsky
Conception vidéo Gabriel Coutu Dumont
Maquillages Amélie Bruneau-Longpré
Accessoires Julie Measroch
Photo Jean-François Gratton
Durée à venir
Production TNM
Section vidéo
Après avoir présenté Cyrano de Bergerac (2014) et Les trois mousquetaires (2015) en collaboration avec le Festival Juste pour rire, le Théâtre du Nouveau Monde s’attaque maintenant au Roméo et Juliette de William Shakespeare. Encore une fois, Serge Denoncourt poursuit son exploration des grands classiques du théâtre et assure la mise en scène de cette pièce qu’il rêvait de monter depuis 25 ans. Ce choix permet également d’honorer le 400e anniversaire de la mort de ce géant du théâtre occidental.
Denoncourt a décidé de transposer l’histoire de Roméo et Juliette dans les années 30, en pleine montée du fascisme dans l’Italie de Mussolini. Dès les premières minutes du spectacle, des images d’archives sont projetées sur un écran au fond de la scène. Ce choix permet également de remettre en perspective les tensions entre les familles Capulet et Montaigu dans un climat sociopolitique agité. Alors que les grandes figures de l’extrême droite trouvent leur incarnation dans l’attitude autoritaire du Prince de Vérone, les costumes reconstituent fidèlement la mode italienne de l’époque et les décors à colonnades rappellent l’architecture du quartier de Rome qui avait été aménagé en prévision de l’Exposition universelle de 1942 (annulée à cause de la Deuxième Guerre mondiale).
La distribution est impeccable et laisse une grande place aux acteurs de la relève. Rappelons que 12 des 20 acteurs n’ont pas encore 30 ans! Philippe Thibault-Denis et Marianne Fortier incarnent les mythiques amoureux avec une justesse impressionnante. Serge Denoncourt a bien raison lorsqu’il parle de Roméo et Juliette comme d’une pièce qui rend parfaitement compte de la démesure et de la candeur de l’adolescence. Les nuances dans le jeu des deux acteurs marquent bien le basculement de la naïveté de l’enfance à la gravité de l’âge adulte. Marianne Fortier excelle autant dans son rôle de fille bien élevée et obéissante envers ses parents qu’en jeune femme décidée et volontaire. Son jeu donne une profondeur intéressante au personnage de Juliette qui est trop souvent confinée à une position victimaire. Parmi les scènes les plus réussies de la pièce, mentionnons la scène du balcon, que Denoncourt a voulu plus abstrait et architectural, et qui se déroule sur un plan incliné. Celui-ci permet à Roméo de multiplier les ascensions du mur pour embrasser sa Juliette sans toutefois être capable de lui dire un adieu définitif. Debbie Lynch-White se démarque aussi dans son interprétation de la nourrice, une bonne vivante attachante et hilarante, prête à tout pour faire le bonheur de sa protégée. La plus belle surprise revient toutefois à Benoît McGinnis, qui incarne un Mercutio excessif, extravagant et tourmenté. La complexité de ce personnage de Shakespeare est exploitée à son plein potentiel par l’acteur, alors qu’il en fait un genre de clown à la sexualité trouble et constamment rongé par une pulsion de mort. Celui que l’on avait vu au TNM dans le rôle du roi Béranger Ier (Le roi se meurt, 2013) et du mousquetaire Aramis (Les trois mousquetaires, 2015) montre ici une autre facette de son grand talent d’acteur.
Si Roméo et Juliette est souvent associée au genre tragique, il s’agit en fait d’une pièce baroque qui accorde également une grande place au comique. La dynamique entre les jeunes riches qui cherchent la provocation et la bagarre au début du spectacle donne lieu à des situations complètement absurdes, tout autant que l’exaspération de Lady Capulet devant les histoires redondantes de la nourrice. La traduction de Normand Chaurette participe probablement à l’humour savoureux de cette première partie. L’intelligence avec laquelle il rend compte de la langue de Shakespeare tout en y ajoutant son talent d’auteur est toujours aussi agréable à redécouvrir. Le renversement dans la tragédie se fait subitement au troisième acte avec la mort de Mercutio et de Tybalt. Malgré les trois heures que dure le spectacle, la deuxième partie se déroule de manière un peu trop précipitée, ce qui empêche le public de réellement se laisser toucher par la détresse de Roméo et Juliette, dont la mort est imminente. Le double suicide des amoureux se fait de manière expéditive et aurait bénéficié d’une progression plus lente. Le réveil détendu de Juliette, à peine une seconde après que Roméo se soit enlevé la vie, apparaît un peu artificiel en comparaison du jeu nuancé auquel les comédiens nous avaient habitués. Le manque d’efforts du frère Laurent pour empêcher Juliette de se planter un couteau dans le cœur alors qu’il la surprend assise à côté du cadavre de son amant est également peu convaincant.
Terminons en soulignant l’hommage réussi au concepteur de costumes François Barbeau qui devait travailler sur Roméo et Juliette avant son décès en janvier dernier. Vingt de ses créations les plus mythiques sont mises en valeur durant le bal donné chez les Capulet au début de la pièce. Le personnage de Benvolio revêt par exemple le costume que portait Gaétan Labrèche dans L’Heureux Stratagème en 1963 au Théâtre du Rideau Vert alors que Benoît McGinnis donne une autre allure à l’élégante robe rouge de La Dame aux camélias (TNM, 2006). Quel plaisir de voir revivre sur scène ces grandes créations!
Encore une fois, le TNM et le Festival Juste pour rire prouvent que le théâtre d’été peut rimer avec qualité, audace et originalité.