Avec cette pièce-choc, l’Américain Arthur Miller, l’auteur de Mort d’un commis voyageur, a écrit une tragédie pour aujourd’hui : l’histoire d’un immigrant humilié par des lois contraires aux principes de sa culture, le drame d’une communauté déchirée dans ses valeurs et dans ses loyautés, le désarroi d’un homme en proie à une passion interdite. Lorraine Pintal, qui avait créé un bouleversant spectacle avec Les Sorcières de Salem du même auteur, nous entraîne dans ce récit poignant qui plonge au coeur de dilemmes on ne peut plus actuels.
Eddie Carbone, comme des milliers d’autres Italiens après la Deuxième Guerre, a immigré aux États-Unis. À l’ombre du pont de Brooklyn, il travaille comme débardeur. Lui et son épouse, Béatrice, n’ont pas eu d’enfants, mais ils ont élevé une nièce orpheline, Catherine, qui bientôt aura dix-huit ans. Or Eddie a accepté de cacher chez lui deux cousins de sa femme qui viennent d’immigrer clandestinement. Le plus jeune, Rodolpho, s’éprend de Catherine, mais Eddie ne l’aime pas et son affection pour Catherine a quelque chose de maladivement possessif. Peu à peu, sous les yeux effrayés de sa famille et de sa communauté, Eddie s’engage dans une voie sans issue.
Et pour donner toute sa grandeur à ce personnage dévoré par son obsession : François Papineau. À ses côtés, la puissante Maude Guérin incarne Béatrice et Mylène St-Sauveur, la découverte du Journal d’Anne Frank, Catherine.
Texte Arthur Miller
Traduction Maryse Warda
Mise en scène Lorraine Pintal
Avec Frédérick Bouffard, Paul Doucet, Maude Guérin, Maxime Le Flaguais, François Papineau, Martin-David Peters, Mylène St-Sauveur, Frédérick Tremblay
Crédits supplémentaires et autres informations
Conception Danièle Lévesque, Marc Senécal, Martin Sirois, Jorane, Lionel Arnould, Jacques-Lee Pelletier
Assistance à la mise en scène Bethzaïda Thomas
Mardis 19h30, mercredis au samedis 20h, certains samedis 15h
Discussion avec l'équipe du spectacle aprèes la représentation du 3e mardi
En tournée au Québec avec Les Sorties du TNM du 16 janvier au 10 février 2018.
Mardi 16 janvier @ Trois-Rivières – Salle J. Antonio Thompson
Jeudi 18 janvier @ Drummondville – Maison des arts Desjardins
Mardi 23 janvier @ Sherbrooke – Salle Maurice O’Bready
Jeudi 25 janvier @ Granby – Le Palace
Mardi 30 janvier @ Laval – Salle André-Mathieu
Vendredi 2 et samedi 3 février @ Gatineau – Maison de la culture
Samedi 10 février @ Rimouski – Salle Desjardins-Telus
Production TNM
Célébrant sa 25e saison à la tête du Théâtre du Nouveau Monde, Lorraine Pintal a tenté de s’approprier le drame Vu du pont d’Arthur Miller. Traduit de l’américain par Maryse Warda, le texte reprend quelques tonalités québécoises au grand plaisir de tous.
Sous la narration d’Alfieri (Paul Doucet), avocat et voisin respectable, le sombre destin d’Eddie Carbone (François Papineau), débardeur de Brooklyn, s’installe dans un décor assez simpliste donnant à voir une montée dramatique des plus significatives chez les acteurs. Alors qu’il vit une vie sans histoires avec sa femme, Béatrice (Maude Guérin), et Catherine (Mylène St-Sauveur), leur nièce orpheline, Eddie accepte, malgré lui, d’héberger les deux cousins italiens de Béatrice (Maxime Le Flaguais et Frédérick Tremblay) immigrés de façon illégale. Au départ, perçu comme un homme de cœur, Eddie devient rapidement possessif à l’égard de Catherine qui tombe, peu à peu, amoureuse du plus jeune. Accompagné d’une trame sonore génératrice de tension, le protagoniste s’engagera dans une lutte entre loi et morale de laquelle il ne pourra malheureusement pas sortir indemne.
Donnant accès à l’intérieur ou l’extérieur par un simple mouvement de chaises, la configuration de l’appartement d’Eddie se transforme tout aussi aisément en lieu de travail. Pendant près de deux heures, la grande complicité qui unit le trio vedette du spectacle s’observe sur une scène presque vide. Enchaînant les répliques assez rapidement, les comédiens gardent le public en alerte. Effectuant une montée dramatique des plus poignantes, François Papineau offre un Eddie à la fois attachant et effrayant qui ne manque pas d’aplomb. Face à lui, les deux femmes sont, tout simplement, pétillantes. D’une part, Guérin émeut dans son rôle d’épouse fidèle dont le souhait de satisfaire son monde finit par l’anéantir. Puis, Mylène St-Sauveur, celle qui avait impressionné la galerie dans Le journal d’Anne Frank trois ans auparavant, ravit encore, incarnant l’innocence de manière tout à fait crédible. D’ailleurs, les costumes de Marc Sénécal cernent les caractères de chaque personnage avec justesse. Les teintes grisâtres des vêtements ouvriers permettent un contraste intéressant avec la garde-robe un peu plus colorée des deux femmes. Mention spéciale pour l’allure flamboyante du jeune Rodolpho qui se distingue du lot. Interprétant ce blondinet avec passion, Frédérick Tremblay étonne.
De manière générale, le rire est au rendez-vous. Les acteurs se plaisent à varier le ton ou à échanger des regards pour divertir l’auditoire. Cette orientation vers un jeu plus comique peut, tout de même, paraître hors propos sachant que Miller n’écrivait pas pour faire rire… Était-ce un désir de faire redécouvrir l’auteur aux fins connaisseurs tout en suscitant l’intérêt des quelques curieux ? Quoi qu’il en soit, la musique de Jorane excellait, malgré tout, pour ramener la tension. Appuyant souvent les propos du narrateur, celle-ci amplifiait l’impuissance qui se lisait dans le visage de Doucet. Dommage que celui-ci n’ait pu livrer son personnage avec autant d’émotions que ses collègues. Soutenant également des instants sans paroles, la trame sonore impose un rythme plus lent qui maintient agréablement le suspense. Au dénouement, l’arrivée des inspecteurs en voiture surprend, soulignant encore le travail des concepteurs.
Bien que sa vision de Vu du pont encourage peut-être plus à rire qu’à réfléchir, Lorraine Pintal réussit, tout de même, à unir les forces d’ici pour faire rayonner le génie d’ailleurs.
17-11-2017