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Coriolan
Du 15 janvier au 9 février 2019
Supplémentaires 14 et 15 février 20h, 16 février 14h, 18 février 19h30

Par-delà les siècles, les géants du théâtre se reconnaissent et, infailliblement, dialoguent. Robert Lepage, depuis ses débuts, ne cesse de revenir à Shakespeare, auquel il a consacré plus d’une quinzaine de mises en scène. Avec son regard résolument contemporain, il s’attaque pour la troisième fois à la dernière tragédie de Shakespeare : l’histoire de l’inflexible Marcius que ses légionnaires avaient surnommé Coriolan pour avoir conquis à lui seul la ville ennemie de Corioles. Dans notre monde où la démocratie décline au profit de chefs d’état autoritaires, l’électrisant récit politique de Shakespeare nous offre un fascinant miroir de notre temps.

Il y a une famine à Rome, des émeutes, et Marcius est partisan de la ligne dure. Militaire issu de l’aristocratie, il a été élevé par sa mère, la redoutable Volumnia, dans le culte du courage et de l’intransigeance. La population veut sa tête, lui qui déteste l’inconsistance du peuple et encore plus les politiciens, comme Aufidius, général des Volsques, qui profite de l’instabilité à Rome pour envahir la jeune république. Or Marcius, par son héroïsme, repousse l’ennemi. Le peuple veut maintenant l’élire consul, mais Marcius n’est décidément pas fait pour les compromis politiques. Il s’enrage et sa colère dégénère rapidement en crise d’État.

La célèbre traduction de Michel Garneau, âpre, directe, insuffle une énergie foudroyante au verbe shakespearien dont s’emparera Alexandre Goyette, fougueux Coriolan, entre autres entouré d’Anne-Marie Cadieux en Volumnia et de Rémy Girard, en Ménénius, le type éternel du politicien de carrière.


Texte William Shakespeare
Mise en scène Robert Lepage
Avec Mikhaïl Ahooja, Ariane Bellavance-Fafard, Jean-François Blanchard, Louise Bombardier, Anne-Marie Cadieux, Jean-François Casabonne, Lyndz Dantiste, Rémy Girard, Alexandre Goyette, Reda Guerinik, Tania Kontoyanni, Gabriel Lemire, Jean-Moïse Martin, Widemir Normil, Eliott Plamondon, Philippe Thibault-Denis, Tatiana Zinga Botao


Crédits supplémentaires et autres informations

Conception Ariane Sauvé, Mara Gottler, Laurent Routhier, Pedro Pires, Antoine Bédard
Assistance à la mise en scène Adèle St-Amand

Mardis 19h30, mercredis au samedis 20h, certains samedis 15h

Discussion avec l'équipe du spectacle après la représentation du 3e mardi

Une production originale du Festival de Stratford 2018
Créée en collaboration avec Ex Machina
Une production du Théâtre du Nouveau Monde


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Critique disponible
            
Critique

Après avoir revisité Candide de Voltaire et Bilan de Marcel Dubé, le Théâtre du Nouveau Monde baigne une fois de plus dans un esthétisme sophistiqué avec Coriolan de William Shakespeare, l’un des dramaturges préférés de la maison. Sous la gouverne de Robert Lepage, ce morceau souvent méconnu de l’auteur anglais connait un traitement visuel choc. Face au déploiement d’une scénographique aussi imposante, certaines personnes du public risquent toutefois de ne pas assez ressentir la brutalité vive du propos.








Crédit photos : Yves Renaud

Après deux polémiques d’affilée qui ont secoué le milieu théâtral avec une violence rarement égalée (à l’exception de la création des Fées ont soif de Denise Boucheren 1978 au TNM), Lepage revient à Shakespeare pour lequel il éprouve une perceptible affinité. En plus d’avoir monté nombre de ses œuvres (dont La Tempête), il s’est attaqué précédemment trois fois à Coriolan : d’abord au Théâtre Repère en 1983 où les rôles féminins étaient joués par les des hommes et vice-versa ; une autre occasion dans les années 1990 et, récemment, soit l’été dernier, au Festival de Stratford en Ontario. La présente version du TNM reprend le dispositif scénique de cette dernière, dispositif dont le montage a nécessité quinze jours de travail (le double du temps habituel).

L’un des metteurs en scène européens à avoir travaillé également la pièce, Christian Garruti, résume bien l’intrigue compliquée où s’enchevêtrent les drames personnels et sociaux. Coriolan raconte la destinée d’un héros du même nom « incapable de devenir un chef politique parce qu’il refuse de jouer le jeu de la comédie du pouvoir » dans une cité « en proie à la guerre civile et sur le point d’exploser ». Le protagoniste, incarné par Alexandre Goyette, est un militaire aristocrate élevé par une mère dévorante d’ambition (Anne-Marie Cadieux). Nous nous retrouvons dans une Rome aux prises avec la famine et des émeutes ; les luttes entre les Volsques et les Romains entraînent de rudes luttes et des trahisons fatales.    

Or, il se dégage de cette exécution scénique d’une ambition démesurée par ses moyens une froideur qui tranche avec les enjeux brûlants abordés qui cherchent à établir des liens avec nos démocraties fragiles et même parfois souffrantes.

Pour tenter de rendre le souffle complexe de cette épopée, Robert Lepage s’est entouré d’une équipe considérable qui comprend treize techniciens, six habilleuses et trois régisseurs à l’arrière-scène (parfois même visibles durant les enchaînements rapides), sans oublier les 18 interprètes de la distribution. Si à la base le récit de Coriolan abordait les origines de la république de Rome (cinq siècles avant notre ère), le metteur en scène s’est véritablement amusé à brouiller les époques, en plus de tendre un miroir impitoyable de notre monde contemporain avec ses chaînes d’information en continu et l’approche spectaculaire des figures politiques. Par ailleurs, du début à la fin de la représentation d’une durée de deux heures et vingt minutes entrecoupée d’un entracte, la technologie et l’utilisation d’objets (comme une échelle pour illustrer la descente d’avion de Coriolan à son retour d’une guerre) occupent une place aussi prédominante (parfois même plus) que les artistes. L’expérience s’amorce justement avec la projection d’un générique de film avec le nom des membres de l’aventure, comme un clin d’œil au travail cinématographique (Le Confessionnal) de l’orchestrateur de la partition. L’une des trouvailles les plus intéressantes demeure celle du cadre de scène qui s’agrandit et se rapetisse au début et à la fin des changements de lieux. Certaines images évoquent d’autres réalisations de Lepage, entre autres la présence d’une véritable voiture au début du quatrième acte (sa relecture de l’opéra The Rake’s Progress d’Igor Stravinsky).

La traduction de Michel Garneau apporte un souffle et une efficacité dramatique à l’ensemble. Car nous ne nous ennuyons pas devant cet enchevêtrement de conflits causant la déchéance d’un Coriolan semblable à certains de nos politiciens actuels.

Toutefois, les amatrices et amateurs de prestations poignantes et prenantes (comme il en existe de nombreuses dans le répertoire shakespearien) risquent la déception. Dans le rôle-titre, Alexandre Goyette démontre une belle assurance, alors que les autres passent souvent à la vitesse de l’éclair, conditionnés aux exigences de la machine. Des comédiens comme Rémy Girard ou Jean-François Casabonne jouent bien, mais ne surprennent guère. Mentionnons toutefois le talent de Louise Bombardier en Junius Brutus et de Reda Guerinik, troublant dans la peau de Tullus Aufidius, le général des Volsques.

Or, il se dégage de cette exécution scénique d’une ambition démesurée par ses moyens une froideur qui tranche avec les enjeux brûlants abordés qui cherchent à établir des liens avec nos démocraties fragiles et même parfois souffrantes. Dans cet esprit, l’assassinant du protagoniste (avec des traces de sang qui giclent sur l’écran) ressemble à une séquence de séries télévisées à la mode qui ne laisse aucunement place à l’imagination.   

Dernière tragédie de Shakespeare, Coriolan demeure probablement celle de son corpus qui aborde le politique dans ses dimensions les plus brutales et les plus déshumanisantes. D'où l'intérêt sans cesse renouvelé de Robert Lepage pour cette fable exigeante aux créatures ambiguës, même si la férocité aurait dû ici ressortir avec encore plus d’éclat et de terreur.  

21-01-2019


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668 ou en ligne

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