Michel Bérubé, lauréat du prix John-Hirsch 2002 attribué par le Conseil des Arts du Canada à un metteur en scène très prometteur, s'est attaqué depuis un an à monter le nouveau texte de l'insondable Hervé Blutsch à l'Usine C. Ervart, ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche - boulevard burlesque à tendance philosophique, cabaret fin-de-siècle et fin d'été, prendra l'affiche dans le Studio de l'Usine C du 13 au 24 août prochain.

L'action se déroule à Turin entre 1888 et 1889. Persuadé que sa femme le trompe, Ervart subira une jalousie fabulatrice qui fera basculer son monde. Il ira jusqu'à interpréter les codes scéniques comme les rouages d'un complot qui se dresse contre lui et qui le conduira jusqu'à sa propre destruction. Pendant ce temps, le philosophe Friederich Nietzsche envisage de commettre plusieurs attentats qui passeront totalement inaperçus. Ervart vivra sa folie en simultané avec celle de Nietzsche. Illusion des apparences?

Ce boulevard où l'humour noir visite l'Esprit de Jarry et d'Ionesco, incarne fort bien l'intelligence débridée de l'auteur énigmatique Hervé Blutsch. Inspiré directement de la syphilis de Nietzsche (!), Blutsch a mis dans les mains de Bérubé, tout au long d'une correspondance entretenue depuis les 24 derniers mois, une galerie de personnages éclatants et éclatés. Un agent secret zoophile, un psychanalyste-citationniste, une comédienne opportuniste, une épouse relative et une jolie jument espagnole nommée Failldola, seront défendus par autant de comédiens solides et toniques: Suzanne Lemoine, Jacques Laroche, Michel-André Cardin, Gaétan Nadeau, Lucie Paul-Hus et Marcel Pomerlo (entre autres).

Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche
Du 13 au 24 août 2002
Usine C
(514) 521-4493

 

 

En sortant de l'Usine C, après avoir assisté à la pièce Ervart..., la première chose que je me suis dite c'est « Mais comment je vais bien pouvoir arriver à écrire une critique sur cette pièce... », tellement elle est (disons-le) débile, éclatée, sans précédent.

L'histoire est très difficile à résumer. Essayons un peu de vous décrire le tout quand même. Tout commence par le
« lever » du rideau, côté cour. Deux hommes se parlent, en anglais, de la poubelle qu'ils ont sous les yeux. Puis, côté jardin, le rideau s'ouvre sur Ervart, sa femme, un ami et le maître d'hôtel. C'est là que nos deux comparses anglophones s'aperçoivent qu'ils se sont trompés de salle de théâtre. C'est déjà un premier indice qui nous dicte que les personnages savent qu'ils sont acteurs et qu'ils jouent une pièce. Plusieurs fois, les personnages (et non les acteurs) décrocheront pour s'expliquer, pour s'engueuler, se mettre à la porte. Ervart, par la suite, hallucine que sa femme le trompe. Il décide de mettre la ville à feu et à sang. La pièce se met alors à basculer à travers tous les types de théâtre imaginables. Vaudeville, tragédie, comédie, narration active et passive, ombres chinoises, tout y passe. Apparaît Nietzche, qui décide de provoquer des actes terroristes qui passeront inaperçus: il fait exploser des poubelles avec des livres-bombes; très belle métaphore pour exprimer la "révolution" philosophique de ce grand penseur allemand. À cause de ces faits, un espion est dépêché sur les lieux, pour découvrir qui fait exploser les poubelles. Et il s'avère que notre espion est zoophile, qu'il sort avec un caribou mais qu'il s'entichera d'une jument... Une comédienne (qui joue une comédienne en recherche d'emploi) s'insère dans le spectacle pour y décrocher un rôle.

Personne ne peut rester indifférent soit à l'humour, aux gestes de provocation, aux jeux de rideaux d'une ingéniosité exemplaire, aux règles de théâtre brisées (les acteurs parlent en même temps, décrochent de leurs rôles, débarquent de la scène, parlent au bruiteur, l'ombre d'un personnage se matérialise en vraie personne...).

Le texte d'Hervé Blutch, ce vendeur de shampooing bio européen, a écrit un petit bijou de texte, mordant, philosophiquement pornographique et plusieurs metteurs en scène auraient reculé devant l'ampleur du défi. Pas Michel Bérubé, qui a demandé cette pièce à Blutch, et qui a réussi à faire de ce cabaret de fin d'été un événement démentiel à ne pas rater. Mais je dois préciser que c'est pour un public averti, puisque malgré tout, je ne recommande pas à une personne non initiée au théâtre de commencer par cette pièce. Vu les règles brisées, les écarts, la longueur (2h30 avec entracte), trois actes vaudevillesque avant et un acte tragique pour la fin, il serait donc difficile de bien apprécier le spectacle.