Du 23 au 27 octobre 2007
The Glass Eye
spectacle en anglais
Spectacle inspiré d’une pièce de Louis Negin, Polo’s fantasy, a faux memoir
De Louis Negin et Marie Brassard
Mise en scène Marie Brassard
Voici la rencontre de deux artistes que tout sépare : l'âge, l'origine, l'orientation sexuelle, le parcours professionnel, le milieu. Clash des cultures, des styles et des époques. La réalité et la fiction s'entremêlent subtilement dans ce spectacle hybride écrit autour d'une pièce de Louis Negin, acteur qui œuvre depuis 40 ans dans le monde du cinéma et du théâtre. En se glissant dans l'univers de Negin, Marie Brassard, jeune créatrice québécoise maintes fois acclamée sur la scène de l'Usine C, cherche à provoquer en chacun de nous un bouleversement émouvant et troublant, au fil de ce voyage excitant dans le passé des années d'or de Montréal.
Une production Infrarouge (Canada) en coproduction avec L’Usine C, Kampnagel Hamburg (Allemagne), Le Luminato Festival (Canada). Une présentation de L’Usine C. Créée en résidence à L’Usine C
Usine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie: (514) 521-4493
par Mélanie Viau
Un décompte en stop motion défile dans votre esprit en cinémascope. Fébrilité en attente du film. Évocations imagées où jouent des cowboys, des indiens, et un petit garçon, Irving, garçon-fiction rêvant d’une autre fiction, plus grande et plus clinquante que lui. Ce personnage ayant traversé l’œuvre originelle Polo’s Fantasy, a faux memoir où il fût conçu par la main et la mémoire aux images parlantes de l’auteur et acteur Louis Negin, devient, dans The Glass Eye, un double faussé de Negin, médiateur entre sa propre fantasmagorie et celle de Marie Brassard, délicate et ingénieuse signataire du spectacle présenté à l’Usine C. De cette œuvre collective et singulière entre les deux artistes s’étale une performance troublante, où le questionnement par rapport à l’humain et la technologie vient brouiller le regard intérieur du spectateur au point de ne plus savoir distinguer, dans le monologue de l’acteur, la réalité de la fiction. Un voyage en trompe-l'œil au cœur d’une profonde intimité voilée par le désir insatiable d’être ce qu’on aurait pu être si… Être ce qu’on aurait pu être… Être.
Nous sommes dans les années 50-60. Le cinéma hollywoodien est en pleine effervescence, les télés couleur envahissent les foyers, Paramount vend une image idyllique de ses produits tous plus éblouissants les uns que les autres. Un jeune homme au père castrateur tombe sous le charme, ses yeux n’ayant plus autre fonction que de contempler avec envie ce que l’œil de la caméra vise et déforme. Désir, fantasme, projection d’un alter ego rêvé qui le ferait sortir de l’appartement morne qu’il partage avec sa mère. Revient dans sa vie un vieil ami, le captain Marvel, narcissique excentrique à l’œil de verre qui l’emmène, de Toronto à Montréal, flirter avec le star system, le glamour, la luxure. De là s’enchaînent, en ordre discontinu, des événements au degré de réalité changeant où le sublime, le pathétique tragique, l’amour homosexuel, l’amitié, le désordre des villes immenses et cosmopolites, la solitude et la perte de soi dans un idéal superficiel se mélangent et s’animent dans la voix de Negin, prenant un sens autre, devenant étrangement simples, étrangement vrais. Une histoire passionnée, personnelle, où l’enchantement n’a pas de limites.
Dans un décor sobre et efficace (décor de plateau télévisé où les draperies et le tapis rouge sur lequel repose un micro sur pied désignent un point de fuite central, soit l’écran de projection des images de l’acteur et d’objets impalpables en noir et blanc) Louis Négin prend littéralement la scène, puissant devant le regard des spectateurs. Grâce, finesse, élégance, prestance, charisme, il possède véritablement la pleine maîtrise de son immense talent d’acteur, sans filtre de caméra, en toute légèreté, sans surenchère, sans jamais laisser un mot s’évanouir avant d’atteindre l’oreille. Ses images provoquent ici et là des rires clairs chez le public, des sourires, des fascinations. Sa relation avec l’environnement sonore (polyphonie de tintements de verres en cristal, voix enfumées des soupers mondains, bruits assourdissants totalement envahissants) augmente le pouvoir qu’ont ses mots d’évoquer des ambiances qui, semble-t-il, ne seraient pas totalement issues de son imagination, mais ancrées dans le souvenir de sa jeunesse.
Marie Brassard fait de sa création The Glass Eye une œuvre où s’imprègne l’histoire non seulement d’un homme, d’un garçon, d’une société, mais celle d’une humanité entière clivée par la technologie, l’omnipotence fictionnelle. Sa propre sensibilité y est tangible, respectueuse, d’une beauté sans artifice, pure, fière.
24-10-2007