Textes Alexandre Goyette, Sylvie Moreau et Évelyne de la Chenelière
Conception, mise en scène et chorégraphie Paula de Vasconcelos
Avec Darren Bonin, Kleber Candido, Natalie Zoey Gauld, Alexandre Goyette, Sylvie Moreau, David Rancourt, Edward Toledo
Théâtre et danse s'additionnent et se font écho dans cette pièce sur la métamorphose d'un univers vidé d'humanité en un univers où amour et compassion règnent. Poursuivant une réflexion de longue date sur le sujet, Paula de Vasconcelos oppose le féminin au masculin et ouvre la discussion sur les actuels besoins planétaires et humains en matière d'équilibre de ces forces vitales. Générosité et physicalité exubérantes.
Scénographie Raymond Marius Boucher, Paula de Vasconcelos
Lumières Michel Beaulieu
Costumes Anne-Marie Veevaete
Une production de Pigeons international en codiffusion avec Usine C
par Aurélie Olivier
Est-il possible de faire un pied de nez à la violence? Pourrions-nous prendre plutôt le parti de la douceur, de la compassion? Serait-il possible de laisser enfin tomber le cynisme et de lui préférer l'amour? Tel est le pari de Paula de Vasconcelos, qui offre avec Kiss Bill une riposte toute en bienveillance à l'univers sanglant du réalisateur Quentin Tarantino. Créé en 2007, le spectacle a marqué les 20 ans d'existence de la compagnie Pigeons International et poursuit le dialogue que la chorégraphe avait entamé avec le cinéaste en 1997, avec Lettre d'amour à Quentin Tarantino. Du film Kill Bill, Vasconcelos a retenu l'essentiel : une femme engagée dans une quête qui la conduit à affronter des guerriers ninjas, vêtue d'une combinaison dorée qui n'est pas sans rappeler celle que portait Uma Thurman dans le film. Le décor est de style oriental avec de grands paravents japonais, et la trame sonore reprend des chansons de la bande originale du film. Toutefois, ce n'est pas pour le tuer que l'héroïne, la danseuse Natalie Zoey Gauld, cherche Bill, mais pour faire la paix. Sa seule arme est la grâce, et les combats de sabre réglés au métronome ont cédé la place à des chorégraphies pleines d'humour. Celles-ci alternent avec des scènes réunissant un cinéaste (Alexandre Goyette), version fantasmée de Tarantino, et sa productrice (Sylvie Moreau). Petit à petit, alors que la couleur verte devient de plus en plus présente et que la nature se met à envahir la scène, ceux-ci se laissent gagner par un sentiment qui leur était jusque là inconnu : la compassion, et par un étrange besoin de demander pardon. Les dialogues, les acteurs les ont écrits eux-mêmes, à partir d'improvisations. Peut-être est-ce ce qui explique qu'ils soient si à l'aise avec leurs personnages? Sylvie Moreau est particulièrement convaincante, d'abord hyperactive et sans scrupules, puis troublée, bouleversée par les étranges changements qui s'opèrent en elle, se joignant aux chorégraphies avec une maladresse touchante, gênée par ses talons hauts, mais acceptant de remettre en question ce qu'elle est.
D'une manière générale, Paula de Vasconcelos a trouvé un juste équilibre entre l'humour et les bons sentiments, évitant de tomber dans la mièvrerie. Les chorégraphies sont malheureusement décevantes, trop souvent redondantes et manquant de précision (les 4 danseurs masculins sont rarement synchronisés). De plus, on ne comprend pas très clairement comment les guerriers que l'héroïne rencontre sur son chemin décident finalement de renoncer à la violence pour la remplacer par la tendresse. Malgré tout, il est difficile de ne pas se laisser charmer par Natalie Zoey Gauld et par la douceur qui peu à peu émane de ce spectacle. Pour peu que l'on accepte de s'abandonner, la quiétude remplace progressivement la fatigue et le stress d'une journée de travail. N'est-ce pas déjà beaucoup?
par Marie-Julie Desrochers
À partir d'une esthétique de la violence machiste et amorale, est-il possible de danser, danser... jusqu'à la romance ? Paula de Vasconcelos, dans sa plus récente production, une réappropriation romantique théâtrale et dansée du film culte de Quentin Tarantino, Kill Bill, tente de répondre par l'affirmative à cette question. Le résultat, qui étonne par sa douceur presque fleur bleue, est audacieux.
La chorégraphe mise sur un thème fort populaire dans le milieu théâtral québécois cette saison, celui de la métamorphose (La Métamorphose, Rhinocéros) : le film de Tarantino, d'une part, devient oeuvre de théâtre et de danse, d'autre part, son propos violent est effacé au profit d'un message de bonheur global. Cela, sans compter la transformation importante qui traverse tous les acteurs et des danseurs; d'abord vils et sans scrupules, se transformant les uns après les autres en êtres spirituels et danseurs féériques. Le décor n'y échappe pas non plus. Oriental et dénudé au départ, il laisse place, au fil de la pièce, à une faune, une jungle fertile, verte, éclatante, d'où se font entendre des chants d'oiseau, le souffle de la bise ; une nature pure, enchanteresse.
La transformation la plus éclatante est sans contredit celle du personnage principal qui, de femme-objet, sexy, offerte à tous, devient une véritable déesse, intouchable et toute puissante, capable de redonner à l'humanité sa dignité. Ainsi, le personnage et les danseurs rampent-ils tous vers elle, dans une scène presque caricaturale, dans l'attente d'un geste rédempteur, qu'elle leur offre, souriante, gracieuse. Le tout se conclut par un baiser final, offert par cette « belle au bois », qui, assurément, sous la relecture de Paula de Vasconcelos, est bien éveillée.
Le tout prend, justement, après quelque temps, les allures d'un conte pour enfants où tout serait parfait - ce qui en agacera sans doute certains. Mais les liens tissés avec l'univers de Tarantino, qui lui aussi glisse à tout moment dans une forme d'amplification, d'exagération, permettent aux spectateurs de comprendre que le projet de Paula de Vasconcelos n'est pas de corriger légèrement ou de remettre sur la bonne voie le cinéaste, mais plutôt d'inverser complètement son projet afin d'arriver à esthétiser la douceur et la pureté extrême. Le message est simple, la façon dont il est livré aux spectateurs aussi. La danse, ici, ne pourra certainement être taxée d'hermétisme.
La performance de Sylvie Moreau, d'une justesse et d'une polyvalence remarquables, contribue grandement à faire accepter le tout. Productrice amorale, danseuse, chanteuse; l'actrice parvient à lier tous les univers explorés par Kiss Bill. Une scène qui survient en début de pièce lui permet d'ailleurs de faire une démonstration spectaculaire de sa capacité à investir la scène, à utiliser son corps pour jouer entièrement, alors qu'elle est appelée à tuer symboliquement, de façons toujours différentes, son compagnon de jeu, Alexandre Goyette, pendant plusieurs minutes.
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Crédit photo : Paul-Antoine Taillefer