Texte de Georg Büchner
Adaptation et mise en scène Brigitte Haentjens
Avec Marc Béland, Paul Ahmarani, Catherine Allard, Pierre-Antoine Lasnier, Raoul Fortin-Mercier, Gaétan Nadeau, Sébastien Ricard, Evelyne Rompré, Paul Savoie
Étrange objet pour son temps, Woyzeck préfigure le théâtre moderne. Laissée inachevée en 1837, la pièce inaugure une dramaturgie fiévreuse, haletante, marquée par l’éclatement. Sa matière, Büchner la prélève à même le réel : un fait divers qu’il adapte pour ensuite le distiller dans une succession de tableaux.
Le drame expose un Woyzeck rongé de jalousie, aliéné par sa condition sociale et tourmenté par la vision intérieure d’un monde au bord de l’abîme. Toutes ces facettes articulent le personnage en même temps qu’elles entraînent sa désarticulation. Une plongée au plus profond de l’humain que risque à son tour Brigitte Haentjens, elle qui cherche par les moyens du théâtre à comprendre les êtres, ce qui les habite
Conception : Colette Drouin, Mélanie Dumont, Anick La Bissonnière, YSO, Claude Cournoyer, Alexandre MacSween, Angelo Barsetti, Catherine La Frenière et Jean-François Landry
Une production de Sibyllines
par Sara Fauteux
Ce n’est pas impunément que l’on entreprend l’adaptation d’une œuvre telle que Woyzeck. Il semble en effet que le milieu du théâtre ait souvent beaucoup de scrupules à se réapproprier ses textes cultes. Mais dans le cas qui nous occupe, nous ne pouvons que saluer l’audace et le talent de ceux qui se sont attelés à la tâche délicate d’adapter ce texte phare de la dramaturgie moderne. Brigitte Haentjens et ses acolytes ont effectué un travail remarquable en réussissant à rendre la pièce plus accessible pour le public québécois sans en altérer l’essence en rien.
En effet, Haentjens et ses nombreux collaborateurs ont non seulement adapté la langue pour la rendre plus proche de celle parlée au Québec, mais y ont également intégré plusieurs éléments de la culture locale. Ces références en chansons et en allusions nous permettent de mieux saisir les enjeux réels de ce texte qui date du 19e siècle en interpellant notre sensibilité culturelle. Ce Woyzeck ouvrier et paumé, cette Marie fille-mère dont il est amoureux et tous ces pauvres « boss », sergent, capitaine et docteur, en mal de pouvoir et exerçant sur le pauvre Woyzeck une domination aliénante sont en effet d’une pertinence incroyable ainsi transposés dans le Québec des années 50.
Marc Béland, qui incarne le personnage principal de la pièce, est égal à lui-même, interprétant avec justesse ce personnage aux aspects mystiques, irrévocablement marginal, à part. Mais il n’est pas le plus spectaculaire de cette distribution particulièrement heureuse. Paul Ahmarani, Paul Savoie, Sébastien Ricard, qui interprètent respectivement le Docteur, le Capitaine et le Tambour-major, sont tous les trois excellents et colorent la représentation de leurs prouesses. Évelyne Rompré dans le rôle de Marie est sensuelle et frondeuse à souhait et nous fait découvrir ce personnage méconnu.
Le travail effectué sur l’espace à la mise en scène et à la scénographie (Anick La Bissonnière) est particulièrement réussi et crée un effet magnifique. La scène est vaste et vide, traversée par une structure en tunnel suspendue d’un rouge vif. Ce dénuement et la musique en direct d’Alexandre MacSween installent une ambiance à la fois sombre et effrayante. On y perçoit une tension constante. Même dans le comique, la fête, même lorsqu’on y danse, y chante, nul ne peut ignorer la souffrance profonde de Woyzeck et la tragédie insoutenable de tout esprit ainsi dépossédé de son existence.