Texte de Thomas Bernhard
Traduction de Claude Porcell
Mise en scène de Denis Marleau
Avec Christiane Pasquier, Guy Pion, Sébastien Dodge
La dernière création de Denis Marleau est enfin de retour à Montréal. Présentée en grande première pour quelques soirs seulement lors du Festival TransAmériques 2009, Une fête pour Boris a ensuite été acclamée au Festival d’Avignon et en tournée européenne.
Après l’immense succès de Maître Anciens (1995) de Thomas Bernard, Denis Marleau renoue avec la parole vitale et incisive de cet auteur. C’est aussi dans le prolongement d’une autre expérience forte et marquante de son parcours, la fantas magorie technologique, Les Aveugles de Maeterlinck, dans laquelle le dédoublement de l’acteur s’exacerbe jusqu’à sa disparition de la scène, que Denis Marleau renoue avec la folie et l’humour abrasif de Thomas Bernhard.
La Bonne Dame, une bienfaitrice mondaine à ses heures, nous entretient de son mépris et martyrise sa dame de compagnie, Johanna, silencieuse présence qui veille sur elle et son mari. Privée de ses jambes suite à un accident, elle a épousé Boris, tout aussi cul-de-jatte et « créature » de la Bonne Dame, réfugié dans un mutisme animal dont le cri et le bruit sont les seules manifestations. Pour l’anniversaire de celui-ci, la Bonne Dame prépare un banquet avec treize culs-de-jatte de l’hospice d’où il vient.
Une création qui fait grincer sur le plateau les rouages d’une mécanique qui oscille entre le pathos et la comédie.
Diffusion et montage vidéo : Pierre Laniel
Musiques : Nicolas Bernier, Jérôme Minière
Son : Nancy Tobin
Eclairages : Marc Parent
Mannequins, masque et poupée : Claude Rodrigue
Costumes : Isabelle Larivière
Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti
Une création d’Ubu
En coproduction avec Le Festival d’Avignon (France)+ Le Festival Transamériques (Montréal - Canada) + L’Usine C (Montréal -Canada)+ Le Manège.Mons/Centre Dramatique/Cecn2 (Belgique) + La Maison de la Culture d’Amiens (France) + L’Espace Jean Legendre Théâtre de Compiègne (France) + Cankarjev Dom (Slovénie)
Une présentation d’Ubu
En codiffusion avec Usine C
par Olivier Dumas
Présentée en primeur le printemps dernier lors du Festival TransAmériques, la plus récente création du Théâtre Ubu revient au Québec après une présence au prestigieux Festival d’Avignon qui a enflammé les critiques outre-Atlantique. À lire les nombreux éloges inclus dans le programme de la soirée, on peut comprendre l’engouement suscité par Une fête pour Boris. Reconnaissable, la griffe de Denis Marleau continue de nous épater par sa parfaite maîtrise de l’univers cauchemardesque de Thomas Bernhard.
La parole corrosive de l’auteur s’adresse à un public qui privilégie les expériences déstabilisantes. Pièce écrite en 1970, Une fête pour Boris raconte l’histoire de la Bonne Dame (une parfaite Christiane Pasquier), une bienfaitrice mondaine à ses heures qui martyrise sa dame de compagnie, Johanna (jouée à tour de rôle par deux interprètes masculins), une femme soumise qui la coiffe et lui fait revêtir ses plus beaux atours. Privée de ses jambes après un accident, elle a épousé Boris, un autre cul-de-jatte réfugié dans un silence presque total. Pour l’anniversaire de son mari, la Bonne Dame prépare un banquet avec treize culs-de-jatte (représentés sur scène par des marionnettes électroniques) qui se déroule à l’hospice où vit Boris.
Denis Marleau s’était déjà attaqué par le passé à la plume de Thomas Bernhard avec son adaptation du roman Maîtres anciens. Métaphore sur les libertés illusoires d’une société de consommation carburant uniquement aux possessions matérielles, Une fête pour Boris constitue d’abord une écriture que l’on écoute avec plaisir en raison de ses répliques caustiques et sa description grotesque d’une société anémique. Qualifié d’écrivain négatif, il s’en donne à cœur joie dans cette critique de l'infantilisme social où sont confinés les individus en marge de la «normalité». Influencé par son enfance tumultueuse, son œuvre constitue également un règlement de comptes à l’égard des bourgeois: sa Bonne Dame jette son mépris sur les estropiés, les fous et les exclus pour exercer sur eux un jeu de cruauté où les fantasmes brouillent les cartes du réel dans ce cabaret disjoncté.
Le metteur en scène poursuit sa démarche technologique avec la présence d’un chœur de marionnettes électroniques qui évoque Les aveugles, de Maurice Maeterlinck, autre réussite de ce magicien de l’image. En parfaite maîtrise de cette machine sophistiquée, Denis Marleau sait déjouer les pièges tendus par ce genre de théâtre où tout se situe à un second degré. Pièce souvent immobile au statisme presque lancinant, Une fête pour Boris s’accompagne heureusement d’une parole inquiétante, souvent cynique et désabusée.
Comédienne remarquable et muse de Denis Marleau, Christiane Pasquier (Ce qui meurt en dernier, Le complexe de Thénardier) est superbe dans cette partition exigeante qu’est le rôle de la Bonne Dame. Impériale, d’une froideur implacable, elle en impose par sa hargne à écraser les êtres médiocres qu’elles mènent par le bout du nez. Son quasi-monologue est rendu par une rigueur stupéfiante sans aucune fausse note. Ses partenaires Guy Pion et Sébastien Dodge, qui interprètent à tour de rôle Johanna sa dame de compagnie, font preuve d’une grande théâtralité par leur aisance à exprimer corporellement leur subordination face à leur marâtre. Quant au chœur de marionnettes électroniques, celui-ci expose avec éclat tout le brouhaha devant l’angoisse de la folie, de la mort psychique et physique.
Comédie grinçante ou tragédie prophétique d’un monde décadent, Une fête pour Boris demeure un cérémonial théâtral de haute voltige qui laisse des traces indélébiles par son impressionnante maîtrise du chaos.