En 1999, le Théâtre Décalage voyait le jour avec la création d'Exécuteur 14, mise en scène et interprétée par Peter Batakliev.
Onze ans plus tard, le metteur en scène et acteur d'origine bulgare rend un nouvel hommage à ce texte toujours aussi actuel de l'Égyptien Adel Hakim. Et c'est à l'acteur Paul Ahmarani qu'est confiée la voix d'un homme brisé par la guerre civile.
Pourtant dans la ville d'Horizon, il a connu l'émerveillement et la douceur de la jeunesse. Mais c'était avant qu'une ombre sanglante s'abatte sur ses rêves, que vienne le temps du ciel strié de bombes, de l'apparition cauchemardesque des Exécuteurs et de son propre basculement vers l'impensable : passer de victime à bourreau…
Avec Adel Hakim et Paul Ahmarani, Peter Batakliev trouve l'espace, l'écho et les voix appropriées pour dessiner la « topographie mentale » d'un homme meurtri et « amener le spectateur en voyage vers un pays intérieur, complexe et bouleversé ».
Exécuteur 14 est la première pièce écrite par Hakim. Depuis sa création, Exécuteur 14 a reçu le prix du Meilleur spectacle au festival de Saint-Herblain et a été traduite dans plusieurs langues et jouée dans 20 pays.
Assistance à la mise en scène et régie : Magalie Dufresne
Décor, costumes et accessoires : Josée Bergeron Proulx
Éclairage : David-Alexandre Chabot
Environnement sonore : Dmitri Marine
Concpetion sonore : Alexander MacSween
Une production Théâtre Décalage
en codiffusion avec l'Usine C
par Aurélie Olivier
Exécuteur 14, d’Adel Hakim, est un monologue dans lequel un jeune homme, survivant de la guerre civile opposant les Adamites et les Zélites, raconte son histoire. L’enjeu ne se situe pas dans l’intrigue, mais dans le processus qui transforme un homme en meurtrier. Le narrateur n’est ni un gentil ni un méchant, c’est simplement un homme aux prises avec la violence, de celles qui font naître la haine et le désir de destruction. Ce qui est condamné ici, c’est la guerre, avec sa logique tordue et son aveuglement. Hakim nous propose ainsi une plongée dans l’âme du narrateur, une vision de la guerre telle qu’elle est vécue de l’intérieur. On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec L’Affiche, de Philippe Ducros, présentée il y a presque un an à Espace Libre, bien que cette pièce soit clairement située géographiquement (contrairement au texte de Hakim), que sa forme soit radicalement différente, et que le spectacle, dans son ensemble, ait été infiniment plus percutant.
Dans Exécuteur 14, le récit, quoique fragmenté, suit la chronologie des événements, depuis l’enfance pacifique (mais imprégnée du sentiment de faire partie d’une élite raciale) jusqu’à la prise des armes, en passant par la mise en place de barrages, les contrôles d’identité, le couvre-feu… Le narrateur observe les dérèglements du quotidien (« Petit à petit, l’étrange devenait lui aussi ok ») et devient obsédé par sa survie, jusqu’à ce que la haine prenne le pas sur la peur et que la question devienne plutôt : comment tuer, en tuer le plus possible, les tuer tous. « La force dans le combat, c’est l’envie de détruire », dit-il.
Le point culminant de ce processus de transformation, l’événement qui fait basculer le narrateur du statut de victime à celui de bourreau (à savoir la torture et le meurtre de sang-froid, sous ses yeux, de « Petite amie »), ne provoque pourtant aucune émotion. En fait, à aucun moment dans le spectacle, l’état de guerre dans lequel le personnage est entré ne nous est rendu perceptible, palpable au-delà des mots. On entend la peur, l’horreur, on comprend le cheminement, le processus, mais on ne ressent rien.
La direction d’acteur y est pour beaucoup : Paul Ahmarani nous apparaît tantôt traumatisé, tantôt demeuré, tantôt maniéré si bien que l’on ne voit pas de personnage cohérent naître sous nos yeux. La surenchère de mimiques distrait et les rares éclats de voix semblent plaqués. On a le sentiment que chaque geste a été minutieusement prévu et que le comédien passe le plus clair de son temps à essayer de se les remémorer au détriment de l’éclosion de son personnage.
Par ailleurs, le texte d’Adel Hakim – bien que reposant sur un parti pris intéressant – est peu inspirant. La langue utilisée, qui tente manifestement d’introduire un sentiment d’étrangeté en se passant parfois d’article (« c’est mystère ») et en mêlant au français des mots anglais, italiens, espagnols, sonne faux. Ce mélange des langues vise-t-il à montrer que le narrateur est le produit de plusieurs cultures et à souligner l’absurdité de cette guerre civile qui oppose des camps vivant autrefois en bonne intelligence? Quoi qu’il en soit, ce choix laisse perplexe, d’autant plus que le metteur en scène, Peter Batakliev, a choisi de l’atténuer, accentuant ainsi (et paradoxalement) son caractère artificiel.
De plus, la progression dramatique laisse à désirer. Le mysticisme, qui est présenté comme un moyen de survie, fait irruption de manière abrupte; la religion apparaît soudain comme un élément central alors que rien ne l’annonçait; la figure apocalyptique et terrifiante de l’Exécuteur 14, sorte d’incarnation démoniaque de l’Ennemi (avec un grand « E ») apparaît tardivement, alors qu’on s’est lassé de l’attendre et sans qu’on en perçoive bien les enjeux. Si l’intention était de traduire ainsi que les souvenirs refluent de manière chaotique, la cible est manquée. Au contraire, un sentiment d’incompréhension parasite la naissance de l’empathie.
On saluera toutefois la scénographie de Josée Bergeron Proulx, qui évoque bien la solitude du personnage et sa vie recluse : lumière qui tombe du plafond comme le soleil à travers une fenêtre placée en hauteur dans un sous-sol; grand pan de papier couvert de pages de livres descendant du plafond et coulant sur le sol; bureau encombré, bibliothèque renversée, piles de livres un peu partout. Ici pas de trace visible de la guerre, contrairement aux didascalies qui mentionnent une « vision de ruines » et « des marques de coups de feu et d’obus ». Un choix judicieux qui met l’accent sur l’intime.