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Du 7 au 10 septembre 2011, 20h
Fusil de chasseLe fusil de chasse
en japonais, surtitré français
Texte de Yasushi Inoué
Mise en scène de François Girard
Avec Miki Nakatani et Rodrigue Proteau

L'Usine C inaugure sa 16e saison en accueillant sur scène l'incandescente et célèbre actrice niponne Miki Nakatani et le metteur en scène de renom François Girard. Après le succès retentissant de la création de Fusil de chasse la saison dernière, cet émouvant et magnifique spectacle sera repris dès le 7 septembre dans sa version japonaise intégrale. Aux côtés du comédien québécois Rodrigue Proteau, Miki Nakatani, icône de la culture japonaise contemporaine, défendera ce texte de Yasushi Inoué. Coproduit par le Canada et le Japon, Le fusil de chasse partira ensuite en tournée vers Tokyo, Hyogo, Niigata, Fukuoka, Nagoya et Kyoto. Une partie des profits du spectacle présenté à Montréal sera versée au Japon, en aide aux sinistrés.

Le fusil de chasse est le second roman de Yasushi Inoué (1907-1991) et il fut écrit en 1949. Un poète nous raconte sa rencontre, au mont Amagi, avec le dénommé Josuke Misagi – homme d'affaires solitaire et chasseur – qui va lui confier trois lettres de femmes différentes. La première lettre est écrite par la fille de sa maîtresse, Shoko. La deuxième lettre est de sa femme, Midori, qu'il a trompée et délaissée. Et la troisième est une lettre de sa maîtresse Saïko. Au fur et à mesure que le poète en découvre le contenu, la vérité la plus crue vient envahir le plateau, laissant apparaître la mécanique mensongère des sentiments. Dans un dépouillement quasi total, qui révèle l'esprit zen de l'oeuvre, les mots distillent le destin de ces êtres emprisonnés dans le silence et la tromperie. Le romancier plonge au coeur des sentiments bafoués des personnages et au plus profond de leur douleur. Le silence se brise, les mots éclatent et les convictions d'antan sont réduites en poussières. L'adaptation pour la scène de cette oeuvre récipiendaire du très prestigieux prix Akutagawa est signée Serge Lamothe.

L'Usine C a l'immense honneur de recevoir pour la première fois Miki Nakatani, l'une des actrices les plus respectées et célèbres du Japon. Découverte à l'âge de 14 ans, l'artiste, aussi adepte de la cérémonie du thé, du Samsien (instrument japonais), de la danse japonaise et de la calligraphie, a depuis joué dans de nombreux longs-métrages dont Soie de François Girard, Memories of Matsuko ainsi que les populaires films d'horreur Ring et Ring 2.


Adaptation théâtrale Serge Lamothe
Scénographie François Séguin
Conception des costumes Renée April 
Conception de l'éclairage David Finn
Conception sonore Alexander MacSween

Coproduction : Usine C, Parco Theater (Tokyo)


Usine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie: (514) 521-4493

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 Critique
Critique

par David Lefebvre

Fusil de chasse
Crédit photo : Sylvie-Ann Paré

Un poète relate sa rencontre inattendue avec Josuke Misagi, chasseur et homme d'affaires japonais, qui lui confie par la voie d'une correspondance à sens unique trois lettres d'autant de femmes. D'abord celle de Shoko, la fille de sa maîtresse, désillusionnée, qui dit maintenant tout savoir après avoir consulté sans permission le journal intime de sa mère mourante. Puis Midori, sa femme des 13 dernières années, qui lui avoue connaître depuis des années ses infidélités, qu'elle aussi l'a trompé, et qui lui demande le divorce pour retrouver une certaine liberté. Finalement, Saiko, la femme de sa vie, avec qui il a péché maintes fois, et qui commence sa missive d'une si brutale manière : quand tu liras ces mots, je ne serai plus.

Le fusil de chasse, inspiré du deuxième roman de l'écrivain et poète japonais Yasushi Inoué, ouvre les portes closes d'une histoire d'amour chorale. Mais au-delà de l'amour existe ici le mensonge, celui que l'on vit, que l'on découvre, que l'on fait naître, que l'on nourrit, que l'on se raconte à soi-même, qui fait souffrir ou vivre au-delà de toutes espérances. Après une première mouture qui fut acclamée par le public et la critique l'an dernier, François Girard et l'équipe de Parco Theater de Tokyo replongent au travers ce singulier récit en éliminant la traduction, pour ainsi faire entendre la musicalité de l'écriture et de la langue douce et remarquablement lucide de Inoué.

Fusil de chasse
Crédit photo : Sylvie-Ann Paré

Le fusil de chasse est un portrait élégant et envoûtant en trois tableaux successifs, sans faille. Miki Nakatani, qui foule les planches pour la première fois de sa carrière pourtant prolifique au cinéma et à la télé nippone, nous éblouit par sa maîtrise, son audace réservée et son jeu distinctif ; de par ses gestes, de par le ton de son discours, de par les changements de costumes subtils et efficacse, nous assistons à une métamorphose, une personnification parfaite de trois femmes en un seul corps. Nul besoin de comprendre son langage, la sublime Miki Nakatani réussit sans équivoque à faire vivre chaque émotion qui se terre sous les mots des protagonistes. Rodrigue Proteau (Cirque du Soleil, Omnibus, Carbone 14, Ex Machina…), en retrait derrière un mur aux multiples calligraphies, interprète ce chasseur au fusil argenté et bien vêtu. Grâce à son immense expérience scénique et ses talents physiques, la présence muette de Proteau se fait toujours sentir, sans jamais devenir oppressante ; comme s'il incarnait une idée, un souvenir, à qui le flot de mots de ces femmes s'adresse et auquel il répond, avec sensibilité. Ses gestes contrastent et sont presque imperceptibles, d'une lenteur stylisée et d'une impeccable aisance.

Le décor épuré de François Séguin cache pourtant une mécanique surprenante. L'étang dans lequel marche la comédienne sous les traits de Shoko, démontrant son état de désillusion profond, se transforme en un plancher de cailloux laiteux, diamantaire, qui fait chanceler Midori et son courroux. Des lattes de bois se déploient ensuite et forment un immense et paisible tatami. Les éléments réunis sont d'une grande puissance symbolique, typiquement japonaise, tout comme le code de couleurs utilisé pour les costumes : que ce soit le rouge flamboyant de la robe de soirée de Midori – sensualité, désir, colère – ou le blanc éclatant du kimono de Saiko – pureté, mort. Les éclairages de David Finn viennent habiller de clair obscur la comédienne et la scénographie, et ce, avec brio, tout comme la trame musicale omniprésente, grave et atmosphérique d'Alexander MacSween.

Contemplatif, poétique, Le fusil de chasse, présenté à l'Usine C que pour quelques soirs avant une tournée de deux mois au Japon, est une pièce au rythme d'une grande douceur, aux émotions contenues, intériorisées, où le bonheur d'aimer et d'avoir été aimé dépasse en toute chose les multiples tromperies, la colère sourde, les mensonges déchirants et les silences amers.

08-09-2011

par Marie-Pierre Bouchard (version française du spectacle, en 2010)

Fusil de chasse
Crédit photo : Yves Renaud

Le fusil de chasse: l’adultère façon Soleil Levant

Trois versions d’une même histoire.
Trois personnages et trois monologues pour une seule actrice.
Et un acteur qui écoute, ressent, encaisse.

Le fusil de chasse est un spectacle aussi exigeant qu’envoûtant, porté par un texte d’une beauté et d’une délicatesse à faire pleurer.

L’auteur japonais Yasushi Inoué a tissé un récit d’amour et de tromperies en trois points de vue féminins sous forme de lettres adressées à un seul et même homme, Josuke. L’auteur nous convie au coeur d’un drame invisible et silencieux grâce à la force des mots et à la sensibilité lucide de chacune de ces femmes, pourtant toutes plus différentes les unes que les autres.

Marie Brassard y est magistrale. La tâche colossale que représente la mémorisation d’un texte de cette envergure, livré d’ailleurs en un seul jet, mérite en soi le respect. D’un personnage à l’autre, une brève transition permet à la comédienne de se métamorphoser devant les yeux des spectateurs, ce qu’elle accomplit sans peine, dans la gestuelle, le ton et l’intention. Même si les nuances dans le jeu ont tendance à s’estomper en cours de monologue, et malgré l’évidente nervosité d’un soir de première, il serait vain de pointer ces infimes failles qui n’altèrent en rien la grandeur de l’interprétation de Marie Brassard.

Rodrigue Proteau, qui interprète Josuke à l’arrière-scène, ne dit mot. À la manière du théâtre Nô, il s’anime de gestes stylisés et de pantomimes. En son corps et son expression se matérialise, au ralenti, l’impact qu’ont sur lui les mots de son épouse, de sa maîtresse bien-aimée, et de la fille de celle-ci. Entre les torrents de mots féminins à l’avant-scène, et la théâtralité muette de l’homme derrière un rideau de calligraphies, le contraste est particulièrement significatif. Les spectateurs assis dans les premières rangées seront toutefois plus à même d’apprécier le jeu physique de Proteau, lequel est malheureusement peu visible du haut des gradins.

Fusil de chasseFusil de chasse
Crédit photo : Yves Renaud

C’est avec un dépouillement remarquable, dans la pureté de la tradition zen, que François Girard orchestre ces trois tableaux. En plus de l’obsédante trame musicale japonisante d’Alexander MacSween, c’est le sol qui détermine l’atmosphère de chacune des scènes: un étang dans la froideur duquel erre Shoko au gré de ses désillusions; un parterre de galets, sur lequel vacillent Midori et sa colère; et un apaisant plancher de bambou, où Saïko, dans toute sa splendeur, revêt son kimono à fleurs de lotus. Ces trois éléments hautement symboliques - l’eau, le roc et le bois - se succèdent ingénieusement, avec une fluidité remarquable. Pour le reste, la mise en scène laisse toute la place au poignant texte de Yasushi Inoué livré par Brassard.

Sans véritable montée dramatique, sans artifice ou extravagance, la pièce se déroule à un rythme doux et loquace, passif et désarmant, malgré la douleur des tromperies et les lacérations du silence. Car en fin de compte, c’est le satisfaisant bonheur de Saïko,  celui «d’avoir aimé et d’avoir été aimée», qui surplombe l’oeuvre et ébranle le spectateur.

07-10-2010