Imaginez 20 000 abeilles sur scène, seules actrices vivantes d’un spectacle qui leur rend hommage, mises en exergue par le très beau texte du philosophe Michel Onfray écrit pour l’occasion. L’orchestration scénique de Jean Lambert-wild nous ouvre les portes d’un monde étrange et nous invite à prendre conscience du deuil qu’il faudra porter si les abeilles continuaient à disparaître. Cette amnésie qui fait perdre aux abeilles le chemin de la ruche, les laissant mourir hors de chez elles, fait écho à l’amnésie qui frappe les hommes, aujourd’hui souvent bien en peine lorsqu’il s’agit de «converser» avec un monde qu’ils habitent sans plus le contempler.
En prenant la forme d’une réconciliation nécessaire entre l’Homme et le vivant, le spectacle nous rend un univers tout empli du vrombissement d’abeilles qui tourbillonneraient en nous et en-dehors de nous comme les atomes rêvés par Démocrite, nous laissant les oreilles bourdonnantes du murmure de la conversation de l’homme avec le monde, et de l’homme avec lui-même. La disparition des abeilles – à la fois sentinelles et pollinisatrices indispensables à notre survie – signifierait une lourde menace pour l’humanité tout entière. La République des butineuses fait figure de modèle à méditer pour la société humaine. Dit par Michel Onfray, le poème est traité par couches, tel un matériau plastique auquel la musique de Jean-Luc Therminarias insuffle une stratification rehaussée par un souffle électro.
« Notre désir de conversation, il s’adresse non pas entre des acteurs et des abeilles, il s’adresse entre des acteurs, dont certaines sont des abeilles, et des spectateurs. » dit Jean Lambert-wild. Mais comment faire travailler dans le même espace les Hommes et les abeilles ? La solution imaginée promet d’être surprenante…
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Musique Jean-Luc Therminarias
Percussions Jean-François Oliver
Images François Royet
Lumières Renaud Lagier
Costumes Annick Serret
Crédits photo Tristan Jeanne-Valès
Régulier : 30$ + taxes
30 ans et moins : 24$ + taxes
Aînés (65 ans et plus) : 27$ + taxes
Points de vente, autres que l'Usine C
- Librairie Volume – 277 rue Ste Catherine Est
- L’Oblique – 4333 rue Rivard
- Librairie Le Port de tête – 262 av. Mont Royal Est
Coproduction Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie, Théâtre du Crochetan
Avec le soutien de Les Escales Improbables de Montréal, Usine C, Agroscope Liebefeld-Posieux ALP, Eidgenössische Forschungsanstalt, Wild Touch
Présentation Escales Improbables de Montréal, Usine C
Avec le soutien de Consulat général de France à Québec, Institut Français et Conseil Régional de Basse Normandie
Avec la collaboration de Flammarion, Chateau de Cyr
par Olivier Dumas
Philosophe hédoniste, libertaire et polémiste, Michel Onfray ne laisse personne indifférent en France. Le prolifique professeur de l’Université populaire de Caen a traversé l’Atlantique pour venir ces jours-ci à Montréal présenter le spectacle multidisciplinaire intitulé La sagesse des abeilles. Malgré sa courte durée et la réelle présence des 20 000 insectes sur la scène de l’Usine C, l’expérience vaut le coup au-delà de ses prémisses inusitées.
Le matériau principal de cette aventure étrange et singulière provient du texte d’Onfray qui a pour sous-titre Première leçon de Démocrite. Qualifiée de matérialiste, la perception du monde vue sous la loupe de ce philosophe grec de l’ère présocratique a servi d’inspiration pour parler d’une palpable inquiétude contemporaine chez les concepteurs de la pièce. En effet, La sagesse des abeilles aborde la diminution effarante du nombre d’insectes pollinisateurs, notamment sur le continent européen. Les insecticides et pesticides des OGM tuent des colonies d’abeilles incapables de rejoindre leurs ruches et de produire leur miel tant apprécié par nos papilles gustatives. Les rapides transformations technologiques et scientifiques entraînent des chambardements considérables à moyenne ou longue échéance quant à leur existence de plus en plus vulnérable.
De ces interrogations à la fois lumineuses, surprenantes et tragiques, le long poème dramatique puise dans la sphère intime des souvenirs personnels de Michel Onfray, un volubile penseur issu d'un milieu modeste dont le père ouvrier lui a donné ses premières leçons de philosophie. Il amalgame également des raisonnements introspectifs sur les êtres humains, sur les notions de vie et de mort, sans oublier une conception réfléchie de l’univers. Pendant les cinquante minutes de la représentation, le public a devant ses yeux et dans ses oreilles un microcosme sur les grandeurs et déchéances amorcées de notre civilisation occidentale consumériste. Même dans les interstices de la ruche, le politique ne reste jamais bien loin derrière.
La clairvoyance qui ponctue le texte de Michel Onfray ne tombe heureusement pas dans la lourdeur moralisatrice, même si le propos incite à l’engagement et à la conscientisation des problématiques environnementales. L’influence aux écrits de Nietzche est clairement assumée et revendiquée par l’auteur quant aux dilemmes sur le bien et le mal, sur les forces destructrices, sur la préservation de la nature et des espèces vivantes.
Théâtralement, l’aspect le plus intéressant de cette Sagesse des abeilles demeure son enrobage sonore conçu de manière ingénieuse par Jean-Luc Therminarias. Par sa facture électroacoustique, la musique apporte à l’ensemble une touche plus remuante qui tranche avec les autres éléments scénographiques plus conceptuels et plus froids. Elle exprime toute la tension sous-jacente au verbe élégant (redondant à quelques reprises tout de même en particulier dans le dernier quart d’heure) que Michel Onfray récite sur bande avec une voix chaude et grave qui laisse pourtant peu de place à l’émotion, à des envolées lyriques ou à des variantes dans la lecture du texte.
Les seules réserves concernent l’impression d’une trop grande linéarité de début à la fin de la représentation. Avec un sujet aussi brûlant qu’intriguant, une progression dramatique aurait apportée à la proposition artistique un plus grand impact. Les quelques projections de nuages dans les premières minutes et le mannequin transparent se rapprochent beaucoup de l’esprit d’une installation. Par ailleurs, la narration du récit aux intentions académiques ressemble beaucoup à celle des documentaires que l’on peut voir à la télévision. Certains spectateurs, dont l’auteur de ces lignes, auraient aimé sortir plus remués, surtout avec une écriture d’une grande qualité littéraire.
Après une biographie assassine sur Freud et une relecture détonante de l’œuvre et la vie d’Albert Camus, Michel Onfray a concocté avec ses acolytes une potion relevée ni trop mielleuse ni trop amère. Leur spectacle La sagesse des abeilles explore l’univers étonnant de ces essaims d’insectes pollinisateurs qui luttent pour leur survie. Une découverte somme toute stimulante.