L’Usine C reçoit pour la première fois à Montréal Jonathan Burrows et Matteo Fargion, deux artistes qui ne cessent d’agiter la scène internationale depuis 20 ans avec plus de 200 représentations à travers une trentaine de pays.
Après leurs premières collaborations où Jonathan Burrows chorégraphiait et Matteo Fargion composait la musique, les deux hommes démarrent, en 2002, une série de duos qui va modifier leur rôle dans le processus de création puisque désormais tous deux conçoivent, chorégraphient, composent et interprètent à part entière leurs œuvres communes. Fins analystes de la frontière subtile entre la danse et la musique, leurs spectacles se caractérisent par leur rythmique et une simplicité apparente derrière laquelle se cachent une belle virtuosité et un humour bien marqué. En 2004, ils reçoivent un Bessie Award pour Both Sitting Duet.
Deborah Jowitt, influente critique new-yorkaise, a écrit à propos de Cheap Lecture : « Lorsque je m’ennuie pendant un spectacle, je rêve que le rideau en ait assez lui aussi, qu’il tombe, balaie le tout et le remplace par Burrows et Fargion ! »
Jonathan Burrows a été formé au Royal Ballet de Londres avant de créer la compagnie The Jonathan Burrows Group. En parallèle de son travail avec Matteo Fargion, il multiplie les collaborations notamment avec Sylvie Guillem, Adrian Heathfield ou encore Akram Khan.
Matteo Fargion a étudié la composition musicale auprès du compositeur Kevin Volans. C’est en 1989 qu’il commence à écrire pour des chorégraphes, d’abord Jonathan Burrows puis Lynda Gaudreau, Jeremy James, Karl Jay-Lewin, Russell Maliphant et Siobhan Davies.
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Photo Herman Sorgeloos
Cheap Lecture + The Cow Piece 9 – 10 mai
Counting to One Hundred + One Flute Note 11 mai
Avec le soutien de Kaaitheater, Pact Zollverein, Sadler's Wells Theatre et Teatergarsjen
Présentation Usine C
par Geneviève Germain
Il est difficile de décrire les créations du duo formé de Jonathan Burrows, danseur et chorégraphe anglais, et de Matteo Fargion, musicien et compositeur italien. S’inspirant de la structure rythmique de Lecture On Nothing du compositeur anglais John Cage, ces deux artistes ont construit quatre pièces résolument inclassables. Ce n’est pas de la danse, ce n’est pas de la musique, ce ne sont pas que des mots, c’est une performance qui allie toutes ces formes d’art dans une douce méditation. Usant de répétitions qui pourtant diffèrent d’un moment à l’autre, Burrows et Fargion convient le public à les suivre dans leur monde quelque peu excentrique et pourtant sans prétention.
Dans Cheap Lecture, les mots sont à l’honneur, présentant une douce poésie ponctuée d’accélérés et d’arrêts rythmiques. La connivence entre les spectateurs et le duo s’installe ; le rythme surprend et laisse place à des silences bien marqués et des répétitions ou des emphases toniques qui font sourire et même parfois rire aux éclats. Le sens du timing du duo est incroyable et l’ironie de certaines phrases telles « We don’t know what we’re doing, but we’re doing it » et « Let it flow over your head » surprend par son côté franc et simple, comme si ces créateurs s’excusaient déjà de nous déstabiliser ainsi. Exploitant tour à tour les thèmes de la simplicité, du spectacle, du temps, de la répétition et de la danse, Cheap Lecture, mais surtout ses mots, ne demeure pourtant qu’un support au côté rythmique qu’on s’approprie tranquillement.
Succédant à Cheap Lecture, la pièce The Cow Piece met davantage l’emphase sur la rythmique gestuelle en suivant néanmoins la même structure. À l’aide de quelques objets, soit 12 modèles réduits de vaches, quelques instruments, un mouchoir et deux tables, Burrows et Fargion inventent des histoires sans les raconter vraiment, nommant les vaches, les déplaçant, incorporant un moment d’accordéon, de piano ou de mandoline, imaginant même une fin tragique pour ces bovins de plastique ; tout est raconté dans les gestes et dans la musique, laissant libre cours à notre propre interprétation. Même si la complicité du duo y est fascinante, quelques longueurs s’installent dans cette deuxième partie au fil des répétitions et l’absurdité de certains gestes peut parfois devenir agaçante.
Le deuxième duo de créations à compléter le quatuor annoncé est composé tout d’abord de Counting to One Hundred. Il faut se fier au titre : les deux artistes comptent effectivement jusqu’à cent, mais réinventent cette suite de chiffres à coup de silences, d’haussements d’épaules, de mouvements de chaises et d’enregistrement de décompte en italien. Tout semble se confondre dans un joyeux cabotinage qui pourtant demeure parfaitement ancré dans ce rythme que Burrows et Fargion imposent dans ces quatre créations.
Pour clore le tout, la pièce One Flute Note allie différents sons et multiples déplacements des protagonistes dans une joyeuse ambiance qui devient cacophonique par moments, mais intrigue tout autant. Le sens de la répartie de ce duo est incarné par un dialogue gestuel rehaussé par un assortiment sonore s’échelonnant entre des tintements de clochers et un chœur de garçons. Alliant créativité et originalité, le duo évolue dans un décor complètement dénudé et réussit à y donner vie.
L’ensemble de ces Quatre créations laisse songeur. Tantôt hilarants, puis sérieux, intrigants et attachants de par leur simplicité, Burrows et Fargion réussissent à exploiter un angle unique et ingénieux qui allie différentes formes d’expression. Certes, la répétition est au cœur de ces présentations et il demeure difficile de comprendre exactement le quoi et le pourquoi, mais il est clair que ce duo vibre d’idées et exhibe une complicité sans bornes qui détient un charme certain.