« Nous nous sommes rencontrés autour de l’idée imposée des médias sociaux. Froid et convenu. Et puis non, il s’agissait plutôt de nous, de l’image que nous construisions, de notre besoin irrépressible de trouver une façon de nous rendre vers l’autre. Mais pour lui dire quoi ? Pour lui montrer quoi ? Qu’avons-nous donc à exhiber de façon si essentielle, si pressante, si généralisée ? Peut-être simplement notre peau. Peut-être aussi son envers. Accrochés à nos écrans, dans l’urgence, nous avons donc cherché l’autre pour lui montrer quelque chose de nous, n’importe quoi, avant qu’il ne soit trop tard pour l’intimité. »
Avec le iShow, les Petites Cellules Chaudes proposent une création périlleuse, où elles sont constamment en danger, dans l’obligation de se commettre, de se révéler. Le spectacle intègre la participation d’inconnus via des modes de communication publique et volontaire, où les utilisateurs s’exposent à ce genre de danger. Chatroulette, un site web qui met des internautes en relation de manière aléatoire, sert de fil conducteur à la représentation.
Par un enchaînement de tableaux, le iShow explore différentes caractéristiques de la rencontre, qu’elle soit virtuelle ou réelle. Quinze artistes réunis autour d’une même table, projetés sur trois écrans, se mettent à la merci d’une technologie imprévisible pour questionner ce geste anodin que nous faisons chaque jour en consultant notre téléphone portable ou notre ordinateur. Chaque jour, nous exposons. Chaque jour, nous montrons. Chaque jour, je montre. Every day, I show.
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Scénographie Patrice Charbonneau-Brunelle
Technique Hugo B.Lefort
Lumières Marie-Ève Pageau
Son Ian Hattwick
Crédit photo Dimitrios Touloumis
Créé dans le cadre du OFFTA 2012
Présentation : Usine C et Agora de la danse
par David Lefebvre
Résultat d’un laboratoire de création basé sur les réseaux sociaux orchestré par Claude Poissant au Centre national des arts d’Ottawa, puis de quelques représentations lors du OFFTA 2012 aux Écuries, le iShow (ou Je m’occupe de transférer le message à Chanda), présenté pour trois jours seulement à l’Usine C, réunit 15 comédiens sur scène, placés devant leurs ordinateurs portables. On pourrait d’abord croire à un LAN Party, ces réunions de jeux en ligne, si ce n’était de la projection sur le mur à l’arrière-scène de trois écrans parmi les ordinateurs de la salle. Trois diffusions en direct de racolage sur le célèbre réseau Chatroulette, où les comédiens et comédiennes tentent d’entrer en contact avec des gens de partout à travers le monde, de communiquer tout en draguant ouvertement. Alors que le public prend tranquillement place dans la salle, il s’amuse des différents échanges. S’ensuit l’ouverture officielle de la pièce, soit une longue tirade sur la communication ininterrompue, obligatoire, flot de mots imposé jusqu’à ce qu’on y mette un frein.
Déconcertant, dérangeant, de facture beaucoup plus impressionniste que conventionnelle, le iShow aborde sans aucune retenue des thèmes d’une extrême contemporanéité : notre désir de plaire, qui se transforme en besoin irréfléchi de s’offrir en spectacle, de se révéler sans censure, de s’exhiber impunément. Celui de communiquer, de parler, de déjouer l’ennui de toutes les façons possibles. Avec intelligence, on tangue entre l’hommage et l’autodérision. Ce laboratoire technologique navigue ainsi sur plusieurs plateformes et réseaux sociaux : on discute de choses légères avec un homme en Espagne (-Elle est belle ta barbe… avez-vous Movember chez vous?), on reproduit certains vidéos viraux de YouTube, dont le « double rainbow » (plus de 36,5 millions de visionnements au moment d’écrire cette critique), le « David after dentist » (117,5 millions de visionnements) ou encore « Tequila, Heineken… » ; inutile d’écrire la suite, tout le monde connaît maintenant cette réplique culte. On se moque de Stephen Harper en créant un mashup, on montre ce garçon obèse jouer avec ses sabres laser, on explore la pornographie sur des live chats ; si la liberté semble sans limites, on découvre également que le concept d’intimité se veut totalement inexistant. Le nombre et l’accessibilité des sites pornographiques le prouvent bien, mais la troupe y va de façon encore plus sournoise, en lisant quelques statuts Facebook de gens dans la salle. Un voisin de siège, qui fut nommé, a candidement avoué que ceci était tout de même troublant. Preuve irréfutable que les réseaux sociaux ne sont pas des salons privés, mais bien des lieux publics et ouverts. Leçon à retenir : nous ne sommes jamais trop prudents.
Si le côté ludique prend souvent le dessus lors du iShow – le monde virtuel est tout de même un endroit d’évasion, entre autres choses –, certaines scènes, totalement troublantes, voire réellement choquantes, frappent de plein fouet le public. On ira jusqu’à rendre l’expérience immersive : alors qu’on diffuse sur écran les SMS échangés entre une mère et sa fille lors de la tuerie en Norvège du 22 juillet 2011, on utilise Google Earth pour se transporter sur l’île d'Utoeya, où est prisonnière la jeune femme. Un sentiment paradoxal nous immerge : le graphisme en trois dimensions rappelle les jeux vidéo, les paroles échangées sont parfois futiles, manquant même d’urgence vue la situation, mais malgré tout, notre cœur se broie au souvenir de ce jour funeste et désolant. Plus tard, on invitera une personne du public à visionner une certaine vidéo d’un Canadien tristement célèbre, d’une barbarie insoutenable – lors de la première, la foule a manifesté ouvertement son mécontentement en exprimant sa désapprobation. Si le but de l’exercice était d’éprouver le public, c’est tout à fait réussi ; l’indignation ressentie prouve que nous ne sommes pas encore totalement tombés dans cette indifférence de plus en plus grandissante face aux images explicites et sordides du Net.
Quelques moments de théâtralité s’immiscent au travers des expériences des jeunes gens, dont un échange d’aveux entre un homme et une femme, sur le désir et le choix de vivre ensemble, une chorégraphie enjouée et colorée, quelques élans de poésie « kitsch » (dont les paroles d’une chanson de Johanne Blouin) ainsi que la momification d’une des comédiennes, disparaissant sous d’innombrables petits bouts de papier qu’on colle sur ses vêtements et son visage. Moment fort comique aussi que fut cette tentative de jouer une scène de Cyrano de Bergerac avec l’aide d’un participant volontaire sur Chatroulette, qui devait lire les répliques qu’on lui balançait, y allant alors d’un retentissant « c’est quoi ce texte à la con? » ; une occasion en or de se poser de sérieuses questions sur la place de l’Art et des grands classiques dans cet univers virtuel où l’éphémère est trop souvent roi.
Le spectacle ne serait pas du tout le même sans l’audace de ses interprètes qui se mettent carrément à nu, faisant preuve de courage et d’inconscience volontaire, poussant l’expérience jusqu’au bout, incluant effeuillages et répliques (trop) suggestives des internautes. Et la plupart se débrouillent plutôt bien avec les différents logiciels, malgré les problèmes techniques qui surviennent immanquablement ; loin de nuire à la pièce, ceux-ci rendent le tout plus humain et plus sympathique.
Fascinant, ce iShow provoque de multiples réactions au sein du public, qui devient à la fin la vedette du spectacle, toutes les webcams braquées sur lui. Une des expériences les plus saisissantes et troublantes de l’année.