À l’occasion de la présentation de Mygale, la plus récente création de Nicolas Cantin, l’Usine C offre de (re)découvrir ses deux œuvres précédentes. L’ensemble compose une véritable trilogie sous la forme de trois romances qui enjambent gaiement les frontières des genres.
Dès sa pièce « dansante » Grand singe, l’univers de Nicolas Cantin imposait sa différence et ses principales caractéristiques : minimalisme des situations, humour tragicomique et travail méticuleux sur la présence des interprètes. Cette première forme hybride, qui racontait la rencontre entre un homme et une femme, témoignait déjà de son talent pour flairer les fêlures et les absurdités humaines. Avec Belle manière, il récidivait en faisant surgir du plus pur dépouillement les émotions les plus grinçantes, toujours avec cet art maîtrisé de la clownerie. Aujourd’hui dans Mygale, le duo scénique auquel il nous avait habitués devient un quatuor pour encore mieux toucher à la complexité des êtres. Dans un espace presque nu, les quatre protagonistes nous jouent le spectacle de l’intimité, là où la sauvagerie n’est jamais très loin.
Formé au clown, au jeu masqué et à l’improvisation, Nicolas Cantin collabore notamment avec l’École nationale de cirque de Montréal et l’École nationale de théâtre du Canada. En parallèle de ses créations, il a mis en scène Honolulu Punch à la Tohu puis cosigné Patinoire pour la compagnie Les 7 doigts de la main. Il fut également de l’aventure de Tout se pète la gueule, chérie de Fredérick Gravel.
Nicolas Cantin est l’un des quatre artistes en résidence à l’Usine C pour les trois prochaines saisons.
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Grand singe (2009) 30 octobre – 1 novembre
De Nicolas Cantin
Avec Anne Thériault, Stéphane Gladyszewski
Lumières Fredérick Gravel
Dramaturgie Peter James
Belle manière (2011) 2, 3, 6 novembre
De Nicolas Cantin
Avec Ashlea Watkin, Normand Marcy
Lumières Fredérick Gravel
Dramaturgie Peter James
Mygale (2012) 8 – 10 novembre
De Nicolas Cantin
Avec Gabrielle Côté, Peter James, Julien Thibeault, Ashlea Watkin
Lumières Alexandre Pilon Guay
Coproduction FTA
Présentation : Usine C
par Sara Fauteux
Le travail de Nicolas Cantin a de quoi laisser perplexe. Dans ses pièces, les acteurs ne jouent pas, les danseurs ne dansent pas. Les interprètes suivent un chemin incertain forgé à partir d’un travail sur le corps. Ils évoluent sur scène dans une lenteur recherchée, s’habillent et se déshabillent, se lient et s’isolent. Dans Grand singe, Belle manière et Mygale, tout se joue sur une ligne très fine entre la construction d’un état intérieur, d’une tension et le rien du tout, parfois même le n’importe quoi.
La première de ces trois romances est résolument la plus achevée et la plus réussie. Toute en simplicité, cette pièce dans laquelle la danse occupe une place plus importante que dans les deux autres spectacles présente des moments bouleversants. La chimie entre les deux interprètes est palpable et grâce à elle, l’émotion réussit à se frayer un chemin jusqu’au public.
Ce qui n’est pas le cas pour les deux pièces qui suivent. En effet, Belle manière et Mygale laissent entrevoir une matière plus complexe, mais moins aboutie, moins touchante et donc plus difficile d’accès pour les spectateurs. Ces deux spectacles intègrent en outre beaucoup plus d’éléments et d’accessoires qui ne servent pas toujours la représentation. Les objets et leur manipulation ne font que diminuer l’aspect épuré et brut qui fonctionne si bien dans Grand Singe.
Les trois spectacles reprennent des procédés similaires : lenteur des corps qui sont le plus souvent amorphes, séquence de mouvements répétée, regard des interprètes les uns sur les autres, phrases, mots repris, désincarnation totale des interprètes. Une montée de la violence s’opère d’un spectacle à l’autre. Une violence qui est parfois verbale et physique, mais qu’on ressent aussi de manière plus subtile, dans les corps, leur immobilité et vulnérabilité.
Les créations de Cantin effleurent les choses, les laissant à peine poindre et ne cherchant jamais à les saisir ou à les fixer. Les interprètes ne portent rien ou si peu de choses vers le public que le lien entre la scène et la salle est parfois très mince, voire inexistant, ce qui est problématique dans une représentation. De plus, le metteur en scène semble rechercher à tout prix l’étrangeté et l’inconfort et on finit par être un peu agacé par l’aspect forcé de sa démarche.
Malgré tout, quelque chose vibre dans le travail de Cantin. Il y a dans cette recherche un intérêt certain dans l’exploration des limites du théâtre et de la représentation. Il faudra donc s’accrocher et continuer de suivre son travail, emprunter encore le chemin sinueux qu’il trace pour nous et tenter de voir ce qu’on peut tirer du voyage.