En 1862 décédait Henry David Thoreau, premier philosophe à développer le concept de désobéissance civile. Alors que nous venons de fêter le 150e anniversaire de sa disparition, le Théâtre Complice ravive la mémoire de cet érudit dont les idées visionnaires nous nourrissent toujours sans qu’on s’en aperçoive.
Politicien de l’environnement, chantre de l’esprit social, modèle de la différence, antiesclavagiste, bouddhiste de nature, précurseur de l’écologie et de la simplicité volontaire, combattant de la surconsommation, Thoreau fut tout cela à la fois.
Sur scène, les trois comédiens Denis Lavalou, Jean Marchand et Marcel Pomerlo engendrent une sorte de personnage tricéphale formé des trois facettes distinctes de Thoreau : l’amoureux de la nature, l’homme en quête de spiritualité et l’activiste politique. Autour d’eux, des projections vidéo inventent des paysages naturels et sensoriels dans lesquels les mots s’accrochent pour une symbiose parfaite entre l’observation du monde et la construction de la pensée, l’acte et la parole, le mystère et la métaphysique, le voyage et l’introspection.
Spectacle fusionnant mots, musique et images, Les hivers de grâce est une libre déambulation dans l’œuvre du philosophe pour tenter de retrouver un peu d’optimisme et d’enthousiasme malgré la tangente actuelle du monde qui s’obstine à foncer droit dans le mur.
Faire découvrir au public des écritures singulières d’hier et d’aujourd’hui, telle est la mission du Théâtre Complice. En perpétuelle recherche de nouveaux territoires émotionnels, la compagnie s’interroge sur la perte de repères des sociétés et des humains à travers ses mises en scène de textes de Marguerite Duras, Philippe Besson, Marie-Line Laplante, Daniel Keene ou Fabrice Melquiot.
Section vidéo
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Création et réalisation images Frédéric Saint-Hilaire
Scénographie et accessoires Cédric Lord
Lumières Stéphane Ménigot
Costumes Anne-Séguin Poirier
Trame sonore Éric Forget
Direction de production Benoît Brodeur
Production Théâtre Complice
par Olivier Dumas
Le Théâtre Complice aime les paroles fortes et stimulantes. Par le passé, les écritures de Marguerite Duras, Jean Tardieu et Nathalie Sarraute se sont illustrées sur scène. Ces jours-ci, c’est la pensée du non-conformiste Henry David Thoreau qui se déploie dans la petite salle de l’Usine C avec la production Les hivers de grâce de Henry David Thoreau. Si les propos de l’auteur frappent les esprits, la transposition théâtrale de Denis Lavalou ne convainc pas vraiment.
Le cent-cinquantième anniversaire de la mort du célèbre philosophe américain se veut le prétexte pour rappeler à la mémoire collective ses idées progressistes, percutantes et dérangeantes. Celles-ci rappellent, bien que dans un autre contexte, le récent mouvement des indignés présent dans plusieurs grandes villes. Le célèbre essai de Thoreau intitulé La Désobéissance civile a influencé plusieurs réformateurs pacifistes et libertaires tels que Tolstoï, Gandhi et Martin Luther King.
Pendant environ une heure trente, nous voyons l’homme de lettres être incarné respectivement par trois personnes, soit Denis Lavalou, Marcel Pomerlo et Jean-François Blanchard. Durant les premières minutes, l’un d’eux vient s’adresser au public sous le ton de la confidence avant que l’action prenne réellement son envol.
À vrai dire, l’expérience demeure intéressante par la fulgurance poétique du texte. Car Thoreau défendait même de son vivant une conception avant-gardiste de la société. Vue sous l’aspect littéraire, la pièce se révèle agréable. C’est un spectacle de mots qui ressemble à une soirée de lecture à certains égards.
Par contre, la dimension plus théâtrale ne rend pas justice à la puissance de l’œuvre. Sa vision semble inachevée, rarement en parfaite harmonie avec les mots. Les changements de saison dans l’histoire n’entraînent que très peu d’évolution dans la construction narrative. Dans le même esprit, la scénographie, avec entre autres la présence d’un canot à quelques reprises, devient plus décorative que pertinente.
L’idée de récréer la figure de cet homme d’envergure en trois personnages est intéressante, mais mal amenée. Les trois comédiens sont vêtus pareil, s’expriment dans des voix semblables. Il aurait fallu que le metteur en scène joue sur les différences, contradictions ou antagonismes du protagoniste pour faire ressortir la vision plurielle des enjeux abordés. Une mise en scène plus rigoureuse aurait mieux explicité la notion de conflit et dualité qui a façonné les bonnes histoires théâtrales depuis l’Antiquité. Un seul acteur pour incarner la figure de Thoreau aurait apporté une clarté au propos et une meilleure compréhension des enjeux dramatiques, car on se demande parfois à qui s’adressent les répliques, à l’auditoire ou à l’un des deux semblables.
La dimension sonore de la pièce comprend des extraits musicaux de John Cage, de Thomas Bloch et de Goldmund. Par contre, il aurait été encore plus pertinent d’inclure La Sonate pour piano n°2 : Concord, Mass., 1840–60 (S. 88 - K. 3A2) composé par Charles Ives dont l’un de ses quatre mouvements porte le nom de Thoreau pour témoigner de son admiration.
La production du Théâtre Complice n’atteint pas la beauté et la gravité des propos sages, éclairés et fouettant de Henri David Thoreau. Même si la pièce Les hivers de grâce de Henry David Thoreau ne possède pas l’agilité de son auteur, elle a le mérite de nous remettre sa vision prophétique dans le creux de l’oreille.