Quand on pense à la notion de suspense, c’est le titre d’un film ou d’un livre qui nous vient spontanément à l’esprit, très rarement celui d’un spectacle. Et pourtant, quoi de plus fragile qu’une représentation live, dont le déroulement peut être à tout moment déstabilisé par un trou de mémoire ou la réaction intempestive d’un spectateur ?
Pour éviter ces risques, Les Rois du suspense a trouvé la solution : désamorcer tous ses effets en les annonçant avant qu’ils ne se produisent ! Sur scène, Pascale Murtin et François Hiffler triturent les codes de la représentation et nous accueillent dans leur joyeux univers foutraque, composé de boîtes en carton, de bouts de bois et d’un piano jouet. Leur défi ? Faire monter le suspense tout en gâchant la surprise…
Au final, c’est un succulent objet scénique non identifié que nous découvrons. Place à la loufoquerie conceptuelle !
Depuis trois décennies, la compagnie Grand Magasin présente des spectacles qu’elle-même ne pourrait définir mais auxquels elle rêverait d’assister ! Mêlant intelligemment une bonne dose d’absurdité et une sérieuse réflexion sur l’espace scénique, ses créations prennent des formes hétéroclites : conférences en auditorium, interventions en décor naturel, démonstrations dans une galerie d’art, déploiements sur une scène de théâtre…
Section vidéo
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Lumières Nicolas Olivier
Images Julien Lambert
Crédit photo Véronique Ellena
Régulier 30$ / Ainés 27$ / Réduit 24$
Durée 60 min
Production Grand Magasin
Avec le soutien du Centre chorégraphique national de Montpellier – Languedoc Roussillon, du Ministère de la culture et de la communication (DRAC Ile de France), du Conseil général du Val de Marne et DE l’Institut français Remerciements à Christophe Marquis/ Festival « C’est Comme Ça » 2010 - Château- Thierry et Benoit Bradel / Parcours à l’Aire libre - Saint Jacques de la Lande
Coprésentation Usine C et Le Printemps des poètes
Avec le soutien de l’Institut français
par Pascale St-Onge
Anti-théâtre
De passage à Montréal pour trop peu de temps, les fauteurs de troubles Pascale Murtin et François Hiffler tentent à nouveau de briser certaines conventions artistiques, notamment théâtrales. Avec Les Rois du Suspense, ils abordent la surprise comme procédé comique à éliminer. Une démarche atypique et ludique.
Sur ce qu’on aurait l’habitude d’appeler la scène (en raison de l’absence de conception d’éclairage ou de décor afin de rendre la petite salle de l’Usine C plus adaptée pour un spectacle), une multitude d’objets sont dispersés : boîtes, écran de projection, vases, bouts de bois, etc. Les deux artistes font leur entrée et tout déboule. Ils nous expliquent : pour briser le suspense, ils annonceront d’abord la situation, pour ensuite nous la présenter. Aucune surprise, aucun éclat, on nous expose un conflit avant de le mettre en scène, on annonce les actions une à une d’un bout à l’autre du spectacle.
Briser l’un des mécanismes centraux de la machine spectaculaire aurait pu tuer le spectacle et le rendre tout à fait inintéressant. Pourtant, Les Rois du suspense déborde d’humour et d’intelligence. Les deux artistes, qui n’ont aucune formation artistique, détruisent plusieurs modèles théâtraux connus, se moquent de la mimésis ou de la recherche de sens. Ils se questionnent : « Peux-tu te mettre nu ? » « Non, ce serait complètement hors sujet. » ou « Dans quel but ? ». Dans ce spectacle qui crie à la liberté scénique, tout est déjà pensé et placé, réfléchi, répété au quart de tour. Il n’y a aucune place à l’improvisation, bien qu’on le laisse d’abord penser. « Ces mots que nous disons, sont-il déjà écrits ? » « Non, tout est improvisé. Cela fait plus naturel. » Propos qui sont, un peu plus tard, complètement niés.
On s’amuse bien en leur compagnie, il faut le dire. On accepte de se faire prendre au jeu et de ne pas se faire surprendre. Et ce dans quoi ils nous emportent est justement une surprise. Comme quoi, on n’arrive jamais à s’en débarrasser. Les deux non-acteurs ont misé juste, Les Rois du Suspense est un spectacle intelligent, fin et drôle à souhait.