Jérémie Niel adapte le roman d’Evelyne de la Chenelière, La concordance des temps, et l’invite à partager la scène avec James Hyndman pour donner vie à cette histoire d’amour.
C’est une histoire d’amour. Un enchainement de virages serrés. Un vertige devant le nombre de bifurcations. Une angoisse face à la possible linéarité. C’est une rencontre impossible. Une fusion ratée. C’est l’histoire éternelle des femmes et des hommes, perdus dans les méandres de leurs inquiétudes.
En 2005, Jérémie Niel fonde la compagnie Pétrus avec laquelle il met en scène des pièces marquées par un jeu hyper-réaliste et introverti. Une grande attention est portée à la matière sonore, aux lumières sombres dans des décors épurés. Pétrus navigue sur la corde trop souvent tendue entre émotion et intelligence pour essayer de provoquer un semblant de trouble. Pétrus est marqué par « notre destin funeste d’animal conscient ».
Dramaturge et comédienne, Evelyne de la Chenelière est l’auteure de plus d’une dizaine de pièces de théâtre, dont L’imposture, Ronfard nu devant son miroir et Une vie pour deux (La chair et autres fragments de l’amour). Le cinéaste Philippe Falardeau a adapté sa pièce Bashir Lazhar, devenue à l’écran Monsieur Lazhar.
Musique et environnement sonore Tomas Furey
Lumière Régis Guyonnet
Assistanat à la mise en scène Anne-Marie Spénard
Oeil extérieur Morena Prats
Régulier 30$ / Ainés 27$ / Réduit 24$
Durée 90 min environ
Production Pétrus
Présentation Usine C
par David Lefebvre
Il y a deux ans, la prolifique et sensible auteure de théâtre Évelyne de la Chenelière faisait paraître chez Leméac son tout premier roman, La concordance des temps. Une histoire d’amour entre un homme aux pensées suicidaires, aux retards chroniques, et une femme qui pense à sa relation ambigüe avec la mer, avec sa mère, qui s'interroge sur les enfants, sur la mort. L’histoire d’une femme qui attend son homme au restaurant qui n’arrivera semble-t-il jamais, tous les deux perdus dans leurs souvenirs personnels et collectifs.
Jérémie Niel, signe l’adaptation du roman ainsi que la mise en scène. Il impose son style qui colle parfaitement au récit, dont on a à peine conservé le tiers : le jeu hyperréaliste des comédiens, des personnages ici empêtrés dans des monologues intérieurs qui finissent par se croiser ; le travail minutieux des zones d’ombres et de lumières sur la scène et dans une large fenêtre, qui passe du orange soleil couchant à un blanc éclatant, venant alors, comme un flash de caméra, interrompre la scène en cours ; et la scénographie épurée, ne présentant qu’un banc de parc et une table d’un café à laquelle la jeune femme mange une salade.
La parole de De la Chenelière reste étrange, singulière, confuse. On nage dans un récit on ne peut plus romantique, qui se voudrait chaleureux, enivrant, mais qui reste teinté d'une certaine froideur, comme si la mort avait frappé dès le départ ce couple à l’amour improbable. Niel a su aisément adapter à la scène la narration omnisciente du roman, créant deux personnages types, qui pourtant échappent, à un moment ou un autre, à l’unidimensionnalité qu’on pourrait leur octroyer – mention honorable au jeu de James Hyndman, qui incarne un Pierre tout aussi présent qu’insaisissable. Ils sont ainsi décalés, et ne concordent simplement pas. Un certain désespoir plane sur leur tête, de leur rencontre au baiser fougueux à l’annonce de leur séparation, qui, si elle se concrétise, « leur donnerait trop d’importance, donc qui s’avèrerait au final absolument inutile ».
Les réflexions fusent, des petites étincelles dans la nuit, sur l’amour, les relations, la mort, le deuil, le sang, la progéniture, les peurs, la bonté, l’existence, la sexualité, les fantasmes et l’intimité. Sur l’importance de nommer les choses, de les fixer dans le temps et l’espace, ou de rendre flou tout le reste. Mais surtout, sur l’épineuse question : qui sont-ils aux yeux de l’autre? On ne sombre pas dans une spirale, comme le roman peut nous le faire ressentir, en ne sachant pas qui parle ; la pièce nous présente plutôt des clichés, des moments choisis, névralgiques ou simples, de leur vie de couple. Pour y arriver, elle nous naviguer au cœur de leurs réflexions, de leurs échanges. Puis, elle pulvérise les conventions théâtrales : les personnages brisent le quatrième mur sans effort, micro en main, pour parler d’une soirée entre copains. Ils monologuent à l’extérieur de la scène ou font dos au public.
Toujours amplifié, le son est travaillé : les différents microphones renvoient des voix aux sonorités différentes, nous permettant ainsi de distinguer les monologues des discussions. La musique, absolument superbe, de Tomas Furey, débute avec une mélodie au piano, puis deux, qui se marient, qui s’harmonisent ou qui dissonent. Puis, elle bouge, se transforme, empruntant des rythmes plus électros, plus dansants. Si les effets sonores sont généralement réussis, les bruits de fourchette, de couteau, de serviettes de papier et de mastication, au départ pertinents, viennent par la suite déranger l’oreille à quelques reprises, pervertissant l’esthétisme de la pièce.
Un brin contemplative, un brin cinématographique, un brin poétique, cette Concordance des temps explore avec une certaine efficacité, mais sans grande surprise, la magnifique prose d’Évelyne de la Chenelière, qui, semble-t-il, même en tentant sa chance dans le domaine de la littérature, n’est jamais trop loin du théâtre, bien malgré elle. Et c’est tant mieux pour nous.