Les Laissés Pour Contes seront à l’Usine C du 22 au 24 janvier 2015 pour nous faire vivre la peur, la vraie, celle qui se loge en chacun de nous. Six personnages plus vrais que nature vous y attendent. Ils vous dévoileront un fragment de leur existence et partageront leurs peurs les plus intrinsèques, celles qui s’enracinent jusqu’à la moelle, qu’on ne peut déloger. Des histoires qui ne vous laisseront pas indifférents. Mieux vaut mieux vous prévenir, vous n’en sortirez pas indemnes…
La Peur
Elle se loge en chacun de nous. Il y a la peur que l’on ressent, celle que l’on suscite chez l’autre, celle qui paralyse, celle qui fait bouger, celle qui donne mal au ventre, celle qui crée la honte. Il y a la peur qui tient compagnie, qui nous fait nous sentir en vie, que l’on recherche, que l’on fuit, que l’on passe son temps à chercher pour la fuir, que l’on ne maîtrise pas ou que l’on ne peut pas prévoir. Il y a la peur qui nous retient et nous protège, et celle qui nous rend vulnérables et nous abîme.
La Compagnie
Les Laissés Pour Contes, qui présente leur troisième édition cette année, offre une tribune aux auteurs, acteurs, performeurs et autres créateurs émergents qui souhaitent explorer le conte urbain, le repenser, le remâcher, en étoffer les conventions théâtrales pour créer un univers scénique plus riche, plus fécond. Ainsi, ils désirent transporter le spectateur, l’amener à perdre ses repères et lui proposer un espace propice à la réflexion.
Direction artistique Pierre Chamberland
Conception éclairage Élise Neil
Scénographie Odile Gamache
Costumes et accessoires Magalie Dufresne Illustration • Matthieu Goyer
Régulier 25$
Production Les Laissés pour contes
par Olivier Dumas
Après une deuxième édition concluante l’an dernier sur le thème de la convoitise, le spectacle Les Laissés Pour Contes récidive pour une troisième cuvée avec une signature encore plus consistante et incarnée.
De production en production, le sympathique projet concocté par Pierre Chamberland prend du galon, se bonifie, ose davantage explorer des sentiers plus crus sans tomber dans la vulgarité ou la surenchère. Il devient en quelque sorte un petit frère des incontournables (et défunts) Contes urbains, mais en cherchant surtout à faire connaître des paroles de la relève. La diversité des propositions et des réalités entendues tout au long de la soirée se complètent parfaitement. Elle crée une foisonnante et vibrante mosaïque d’individus en quête de sens dans leurs vies pour la plupart détraquées. Les incidents racontés par les protagonistes se caractérisent à la fois par leurs excès surprenants, mais crédibles, et à leurs similitudes à nos péripéties quotidiennes. Dans une atmosphère de réalisme et de proximité, la connivence s’installe rapidement et se poursuit tout au long des 90 minutes de la représentation.
Les six récits écrits pour un seul personnage se caractérisent par la peur, non celle des films d’horreur à l’hémoglobine abondante ou des monstres cachés sous le lit, mais bien celles qui focalisent sur les craintes vécues par des jeunes dans la vingtaine ou la trentaine qui cherchent à se libérer des attaches de leurs passés (représentées sur le plateau dépouillé par une longue chaîne reliée à une chaise blanche de patio) ou à s’assimiler malaisément aux diktats d’une société à la cadence effrénée. Plutôt que de recourir aux habituels enchaînements musicaux, les concepteurs ont judicieusement privilégié des voix humaines entre les histoires pour refléter les pensées profondes et cauchemardesques des protagonistes. Ce choix artistique du metteur en scène Patrick Renaud confère une unité de ton à l’ensemble.
Après la danse contemporaine et les marionnettes des années précédentes, c’est le slam, composé et récité par Amélie Provost, qui tente d’ajouter ici une touche distincte à la formule du conte traditionnel. Court et rendu avec fougue par l’actrice, le segment se distingue par ses références à l’enfance qu’il faut retrouver à l’intérieur de soi. Il aurait toutefois gagné à se distancer encore davantage dans son traitement, son rythme et son énergie des autres textes pour atteindre pleinement son plein potentiel dramatique et marquer au fer rouge sa singularité.
Par la suite, Martin Tremblay mord dans les mots de Patrice Bonneau. Il incarne un adolescent qui déteste son père, mais qui accepte d’entrer avec lui dans le milieu criminel. Si son débit précipité accentue bien la progression du sentiment de violence qui imbibe son témoignage, son monologue mériterait d’être plus fignolé dans le découpage et la clarté des nombreuses actions énumérées. La précision manque encore un peu, mais le public s’attache aux douleurs viriles de cet antihéros.
Véronique Pascal avait suscité un grand intérêt lors de la précédente édition avec les mésaventures sentimentales d’un gai efféminé. Elle récidive cette fois-ci avec une femme notaire ancienne obèse qui adore le sexe depuis longtemps. Celle-ci ressent tout à coup la solitude de ne pas avoir eu d’enfants, en plus de déplorer son existence assemblée comme des meubles d’Ikea. Avec des rebondissements surprenants, son destin l’amène à rencontrer un Gabriel et par la suite son ancienne copine encore accro à lui dans un bar pour les 18-25 ans. L’ironie de la dramaturge se répercute à l’aide de métaphores cinglantes et d’une cinglante interprète, Anne-Valérie Bouchard.
L’étonnant Sortir de la ville de Michael Richard (qui joue parfaitement sa partition) explore avec habileté les méandres d’un grand anxieux qui peine à sortir de son appartement et à rencontrer ses proches. Les allusions à son hamster intérieur qu’il interroge et à la dynamique parfois dérisoire des rencontres thérapeutiques en groupe donnent du piquant à cette plume qui promet de belles choses pour les prochaines années.
Pierre-Marc Drouin réussit également à creuser un sujet épineux avec une grande délicatesse, la maladie mentale. Julie Fortin insuffle toute les nuances, autant la rage, la colère et le désarroi d’une femme qui reçoit une enfilade de coups de poing sur la gueule. Colérique, avec un amoureux éconduit à maintes reprises, et abattue devant la déchéance de son père atteint d’Alzheimer qu’elle a élevé au rang de héros invincible, elle atteint de beaux moments d’intensité.
Depuis le début de l’aventure des Laissés Pour Contes, Pierre Chamberland se réserve toujours une histoire dans le lot. Avant la tombée du rideau, il raconte cette fois-ci le drame d’un homme arrêté par la police lors d’une baignade dans une piscine extérieure en dehors des heures d’ouverture. Or, le personnage nous réserve une surprise inattendue alors que son univers semble s'écrouler. Il tente de s'extirper d'un lourd secret qui le ronge depuis tant d'années. Si les réalités «transgenres» qui s'apparentent à celle du conte de clôture demeurent très médiatisées depuis quelques années (nous avions lors des plus récents Contes urbains un touchant témoignage de Michelle Blanc), l’auteur colore son récit d’images intéressantes (Parc Jarry, homophobie du père en regardant une émission de télévision), l’empêchant de trop sombrer dans la redite. Mathieu Lepage démontre une grande justesse, loin de la caricature dans ce rôle casse-cou.
Les six figures des Laissés Pour Contes ont été grandement appréciées par un auditoire enthousiaste. Des interprètes inspirés et une mise en scène dynamique imprègnent cette troisième édition qui annonce d’autres rendez-vous, dont le prochain qui scrutera les travers et zones obscures de l’ignorance.