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Du 17 au 28 novembre 2015
Le partage des eaux
Texte Annabel Soutar
Traduction Fanny Britt
Mise en scène Chris Abraham
Avec Geneviève Alarie, Florence Blain Mbaye, Bruce Dinsmore, Alex Ivanovici, Jean Marchand, Tara Nicodemo, Lise Roy et Amélia Sargisson

Le partage des eaux raconte l’histoire d’une famille déchirée sur les questions de l’eau et du pétrole, inquiète de l’avenir du pays dirigé par un gouvernement qui ne semble pas accorder beaucoup d’importance aux avis scientifiques. Basée sur des entrevues exclusives effectuées par Annabel Soutar, pionnière de la dramaturgie documentaire canadienne, la pièce relate des évènements qui se déroulent de 2012 à 2014 au Canada et pose le terrible dilemme d’avoir à choisir entre l’écologie et la croissance économique.

L’auteure entraîne sa propre famille dans l’aventure - un parcours semé de rencontres avec certains des plus éminents spécialistes de l’eau douce, des militants acharnés, des individus passionnés par le secteur prometteur du pétrole. Elle tente aussi d’inclure l’avis de représentants de l’aile politique conservatrice de notre pays. L’environnement, l'économie, une nation à la croisée des chemins.


Décor, costumes et accessoires : Julie Fox
Éclairages : Kimberly Purtell
Son : Thomas Ryder Payne
Vidéo : Denyse Karn
Assistance à la mise en scène : Merissa Tordjman
Assistante à la dramaturgie : Elle Thoni

Version française de The Watershed, créé en juillet 2015 aux Jeux Panaméricains de Toronto

Une coproduction Porte Parole et Crow's Theatre (Toronto)


Usine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie: 514-521-4493

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Critique

Crédit photo : Pierre-Antoine Lafon Simard

Très attendue, Partage des eaux, la nouvelle production de la compagnie montréalaise bilingue Porte-Parole, en collaboration avec Crow’s Theater de Toronto, ne remplit malheureusement ses promesses qu’à moitié.

Créée d’abord en anglais (The Watershed) pour les Jeux panaméricains de Toronto en juillet dernier, la pièce traduite en français par la dramaturge Fanny Britt comprend néanmoins un propos très articulé sur des questions environnementales, financières et politiques. Pendant trois longues heures entrecoupées d’un entracte, le public accompagne la famille Soutar dans ses interrogations sur l’eau et les sables bitumineux.     

«Les vampires de l’eau n’auront jamais mon aval… ni mon amont», martelait la regrettée intellectuelle et écrivaine québécoise Hélène Pedneault dans son recueil Mon enfance et autres tragédies politiques. Toujours selon la cofondatrice de la coalition Eau secours!, «l’eau est mère et matrice, source de toutes choses, (…) représente l’infini des possibles». Ici au théâtre, le fameux liquide incolore, inodore et transparent est analysé sous différents angles avec des individus aux positions tranchées, dont des lobbyistes, chercheurs, politiciens et militants (comme l’écrivaine Maud Barlow sous les traits de Lise Roy). Même l’ancien premier ministre du Canada, Stephen Harper (dans une savoureuse imitation vocale de Bruce Dinsmore) intervient dans le débat. Présenté au moment de la récente campagne électorale fédérale, le spectacle, très ancré dans les faits actuels, aurait pu contenir facilement l’une des déclarations de son successeur, Justin Trudeau.  

C’est par la dimension conviviale et domestique que s’amorce ce Partage des eaux. Sur un écran, nous voyons la projection d’une rue résidentielle de Montréal avec ses escaliers et ses arbres feuillus ; en fond sonore, la voix mélancolique de Patrick Watson. Surgit Annabel (personnifiée par Geneviève Alarie), une auteure de théâtre, qui, par ses œuvres multidisciplinaires, cherche à percer les interdits autour d’enjeux controversés comme l’effondrement du viaduc de la Concorde en 2006 dans Sexy Béton on encore la rapacité des OGM dans Grain(s). Entre son conjoint acteur, leurs deux filles, les visites de ses parents et ses recherches exhaustives pour ses documentaires-réalités, elle jongle avec ses engagements professionnels et personnels. Entremêlées d’extraits de reportages télévisés, ces scènes assez anecdotiques du quotidien sont peu captivantes.

Les nombreux sous-thèmes abordés dans cette mosaïque foisonnante demeurent moins faciles à circonscrire que dans Grain(s). Par exemple, les responsabilités entre «bons» et les «méchants» (Monsanto) étaient définis avec plus de clarté, en raison de la nature du sujet. Dans sa présente réalisation artistique, Annabel Soutar s’éparpille un peu malgré toute sa volonté sincère, sans oublier que l’objectif final parait plus flou. Car, comme dans la lignée de Carl Bernstein et de Bob Woodward qui ont révélé le scandale du Watergate ou, encore, plus récemment de Noami Klein, elle aimerait démasquer les entourloupettes des dirigeants, prêts parfois à brader nos ressources naturelles pour plaire à leurs alliés. Mais est-ce nécessaire de garder toutes les séquences, aussi brèves et anecdotiques soient-elles, pour faire passer son message? Par exemple, pour quelques minutes seulement, le plateau se transforme en Chambre des communes et les interprètes-députés des trois principaux partis pérorent en tapant sur leurs bureaux, sans avancer aucune solution concrète. Par contre, soulignons les nuances dans l’exposé de la femme de théâtre par l’inclusion de discours opposés au sien (clairement à gauche et écologiste). Son propre père ne se gêne pas pour vanter les mérites et le «réalisme» économique d’un Stephen Harper conspué par tout le monde (sauf par les membres de son parti) pendant toute la soirée.  

    
Crédit photo : Pierre-Antoine Lafon Simard

Par ailleurs, l’allusion de quelques secondes à l’ex-animateur controversé Jian Ghomeshi n’apporte rien à l’action, mais expose une volonté de sortir des zones consensuelles de la rectitude médiatique. Beaucoup de gens interrogés surgissent à la vitesse de l’éclair tout au long de la représentation, sans que leur présence soit d’une égale pertinence. Dans la seconde partie plus ramassée et plus touchante qui se déroule sur les routes de quatre provinces canadiennes, l’intimité du clan Soutar se conjugue plus harmonieusement avec leurs préoccupations sociales. Le visionnement du combat fatidique de La Revanche des Sith dans leur Winnebago, l’interrogatoire d’un employé des sables bitumineux par les filles ou encore la détente de ces dernières dans la piscine d’un hôtel, apportent une touche humaine à un matériau à priori didactique.

La distribution révèle un naturel adéquat dans cette approche particulière du théâtre, même si Geneviève Alarie ne démontre pas la même force naturelle comme narratrice que Christine Beaulieu dans Grain(s), et les multiples rôles épisodiques de Lise Roy ne lui permettent pas d’imposer son talent avec la même intensité que dans Marie Stuart ou Tom à la ferme.

Lors de l’un des entretiens reproduits sur scène, la fictive Annabel Soutar réplique à l’homme interviewé qu’elle ne doit pas laisser son projet être influencé uniquement par son point de vue afin d’ouvrir d’autres perspectives.  Ainsi, malgré les bémols, ce Partage des eaux à la matière fouillée énonce des vérités bonnes à dire et à redire pour une réflexion citoyenne.  

20-11-2015