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Du 21 au 23 septembre 2016, 20h
Les armoires normandes
Théâtre
Mise en scène Jean-Christophe Meurisse
Avec Caroline Binder, Solal Bouloudnine, Claire Delaporte, Céline Fuhrer, Robert Hatisi, Charlotte Laemmel, Manu Laskar, Jean-Luc Vincent, Thomas Scimeca, Isabelle Catalan, Maxence Tual

Avec ces scènes de vie conjugale complètement dézinguées, les Chiens de Navarre tiennent l’intimité de leurs contemporains par la jugulaire. Partant du principe que l’homme est un animal comme les autres, avec la bêtise en plus, Meurisse et sa meute charcutent le meilleur et surtout le pire de nos relations affectives. Leur humour punk et potache cache à peine une intelligence affranchie de la norme, et c’est bien pour cela qu’on les aime. Avec cette nouvelle création collective, les onze acteurs de cette dernière création des Chiens de Navarre jouissent d’une liberté à improviser d’une représentation à une autre, et se livrent entièrement à la folie de l’instant.

Jean-Christophe Meurisse plonge dans la création collective en mettant sur pied les Chiens de Navarre. Les artistes de la troupe « viennent des écoles de théâtre, de l’université, du cirque, de la danse et partagent une même envie de faire du théâtre autrement, de raconter des histoires autrement, de jouer autrement » témoigne le comédien Jean-Luc Vincent pour Télérama. Forts de leur succès auprès du public montréalais, Les armoires normandes est la troisième pièce que le collectif vient présenter à l’Usine C.


Section vidéo


Assistante à la mise en scène Amélie Philippe
Collaboration artistique Isabelle Catalan
Régie générale et création lumière Stéphane Lebaleur
Création son Isabelle Fuchs
Régie plateau Flavien Renaudon
Construction François Gauthier-Lafaye
Costumes Elisabeth Cerqueira
Photo Lebruman

Discussion avec le public après la représentation du jeudi 22 septembre

Tarifs : Rég. 38$ | Aîné 35$ | Réduit 30$

Production déléguée Le Grand Gardon Blanc / Chiens De Navarre
Résidence et coproduction Les Subsistances, Lyon C.I.C.T. / Théâtre Des Bouffes Du Nord, Paris
Coproduction L’Apostrophe, Scène Nationale De Cergy-Pontoise Et Du Val D’oise ; Maison Des Arts De Créteil ; Théâtres Sorano – Jules Julien, Toulouse ; La Faïencerie, Théâtre De Creil (Scène Nationale En Préfiguration) ; Le Carré – Les Colonnes, Scène Conventionnée De Saint-Médard-En-Jalles et Blanquefort ; Palais Des Beaux Arts, Charleroi
Avec le soutien de La Direction Générale De La Création Artistique


Usine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie: 514-521-4493

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Critique

Après avoir présenté Quand je pense qu’on va vieillir ensemble (2014) et Une raclette (2015), les Chiens de Navarre sont de retour à l’Usine C afin de jouer leur nouvelle création, Les armoires normandes. Sous la supervision du metteur en scène et comédien Jean-Christophe Meurisse, cette troupe française a été fondée en 2010 par un groupe de créateurs issus d’horizons artistiques divers, qui placent l’improvisation et la création collective au cœur de leur processus de création. En utilisant les clichés et la caricature, les Chiens de Navarre mettent en relief les travers de la société contemporaine. Leurs spectacles sont souvent construits sous la forme d’une succession de courts tableaux marqués par le carnavalesque, la nudité et la vulgarité. Pour eux, la scène constitue un terrain de jeu exempt de tabous où tout est permis. Face à l’absurdité de leur humour, les spectateurs oscillent entre le rire incontrôlable et le profond malaise.


Crédit photo : Lebruman

Le public est accueilli par un Christ en croix (Robert Hatisi) suspendu au plafond, qui interpelle les gens qui entrent dans la salle en commentant leur habillement ou leur comportement. Tout de suite, le comédien tient à rassurer les spectateurs sur le caractère factice du sang qui recouvre son corps et sur le fait que ses accessoires ne sont pas d’époque : la croix de bois sur laquelle il se tient a été achetée à Daesh et le short blanc qu’il porte a été créé par un artiste de Ramallah. De même, ses bras et ses jambes ne sont pas réellement cloués sur la croix, ce qui lui permet de s’étirer un peu pour éviter les courbatures qui pourraient découler d’être resté trop longtemps dans la même position. Après ces considérations préliminaires hilarantes, ce Jésus de substitution dresse l’historique des représentations que les artistes ont fait de lui au fil des siècles depuis les fresques byzantines, en passant par Greco, Michelangelo et Rubens. Il reproduit de manière caricaturale chacune des postures immortalisées par les différents créateurs tout en les commentant en direct. En prenant à partie le public, il soulève le paradoxe d’incarner un symbole d’amour depuis plus de 2000 ans, tout en étant représenté constamment sous la forme d’une image de souffrance et de mort. Ce premier tableau permet au spectateur d’apprivoiser l’humour des Chiens de Navarre et donne le ton aux scènes qui vont suivre.

Pour la suite, le thème de la religion est mis de côté pour traiter de l’amour hétérosexuel sous toutes ses facettes, dans un décor composé d’une étendue de sable et d’un palmier. Sur scène, un homme commence sa journée selon un rituel normal : paresser dans le lit, aller aux toilettes, prendre une douche, déjeuner. Toutefois, cette routine devient le prétexte pour les Chiens de Navarre de tester les limites du spectateur en usant d’un humour outrancièrement scatologique. Pendant que le comédien Maxence Tual, complètement nu, mime ses activités matinales, les autres comédiens de la troupe s’en donnent à cœur joie dans le bruitage (pet, diarrhée, etc.) et dans le doublage en play-back de la voix du personnage qui commente tout ce qu’il fait en détail. Ainsi, le décalage entre la gestuelle de l’acteur et sa voix volontairement idiote donne l’impression d’une marionnette n’ayant aucun contrôle sur ses agissements.

Trois couples sont ensuite interviewés à la manière d’une parodie des Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman avant que la soirée se transforme en une immense réception de mariage improvisée, sous une pluie de confettis et de guirlandes. Une mariée enceinte sort des coulisses avec une traditionnelle robe blanche et traverse la salle en grimpant maladroitement à travers le public pour aller rejoindre son mari au fond de la salle. Des spectateurs sont alors mis à contribution pour prendre part à des photos de groupes à répétition. Le rythme est brisé par l’accouchement de la femme durant lequel un jet immense de liquide amniotique gicle dans le visage d’un des invités. Puis, pour pousser encore plus loin le gore de la scène, le bébé est utilisé comme ballon pour une partie de football endiablée. Mention spéciale au discours savoureusement ennuyant d’une amie de la mariée (Charlotte Laemmel) pendant le banquet, au concours de montage de slips pour s’en faire des camisoles, ainsi qu’à la séance de « pétage de ballons sur le cul de la mariée ». Que d’activités édifiantes!


Crédit photo : Lebruman

L’abondance de blagues scatophiles, de nudité, de bruits de pet, de mascottes (une étoile géante qui apporte le gâteau de mariage, des créatures poilues qui dansent le sirtaki) et de vulgarité peut rendre la représentation un peu longue. Le spectacle aurait pu se terminer avec le jouissif numéro de Thomas Scimeca qui s’assoit au piano pour  chanter « Un homme heureux » de William Sheller, fausses notes à l’appui, et qu’il interrompt à plusieurs reprises pour commenter le texte et les choix d’interprétation du chanteur original, ou encore pour lancer des remarques insolentes au public.

Sous des allures de je-m’en-foutisme, les Chiens de Navarre démontrent encore une fois leur grande maîtrise dans le registre de l’humour noir. En se jouant des règles de la bienséance et en prônant une liberté totale de création, ils déclenchent chez le spectateur un fou rire difficilement dissimulable. Les spectacles de cette compagnie française s’adressent à un public averti, mais proposant toujours une expérience théâtrale qui n’a pas son pareil dans le paysage artistique actuel. L’éclectisme de l’univers créatif des Chiens de Navarre demande un certain abandon de la part du spectateur qui doit apprivoiser le mordant de leur imagination débordante. Mais lorsque l’on se laisse porter par leur folie, la soirée devient inoubliable.

24-09-2016