Désirant aborder les thèmes de la liberté et du devoir d’affranchissement de l’Art, Jocelyn Pelletier s’empare de l’immense texte de Sénèque et plonge au coeur de la tourmente d’un amour interdit. Durant le prologue de Phèdre, le prince Hippolyte danse son rêve de chasseur sauvage et imagine le territoire dont il serait roi, débarrassé des brides de la civilisation. Pendant ce temps, la reine Phèdre brûle de désir pour ce beau-fils jeune et libre, mais radicalement chaste. L’amour sans réciprocité se métamorphose alors en une haine aveugle, projetant les destins des personnages les uns contre les autres. Investissant deux comédiens de la totalité des rôles, Jocelyn Pelletier dirige une partition scénique ultra contemporaine, enracinée dans un mythe intemporel.
À sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2005, Jocelyn Pelletier a rapidement participé à de nombreux projets collaboratifs, développant un puissant language performatif. Au sein de la compagnie tectoniK_ qu’il a cofondé, il assure la mise en scène de Electronic City de Falk Richter, présenté au Périscope en février 2014. Il participe également à la création multidisciplinaire Radical K-O programmée dans le cadre du Mois Multi à Québec et par La Chapelle à Montréal. Il a en parallèle fondé sa propre compagnie SUSHI et mis en scène son texte La mélodie entre la vie et la mort à Premier acte. Plus récemment, il a réalisé le spectacle Disparaître ici, librement inspiré de l’oeuvre de Bret Easton Ellis, qu’il a écrit et mis en scène avec Édith Patenaude.
Texte d’après Phèdre de Sénèque
Traduction de Florence Dupont
Adaptation Jocelyn Pelletier avec la collaboration de Stéphane Lépine
Mise en scène Jocelyn Pelletier
Interprétation Guillaume Perreault, Isabelle Roy
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène, régie et conception vidéo Francis-Olivier Métras
Conception décors et accessoires Marie-Ève Fortier
Costumes Marie-Chantale Vaillancourt
Conception lumières Guy Simard
Musique et conception sonore Gaspard Philippe
Direction de production Audrey Lamontagne
Direction technique Maxime Bouchard
Photo Marie-Ève Fortier
Discussion avec le public après la représentation du 22 mars
Durée 1h05
Tarifs
Régulier 33$
Aîné 30$
Réduit 28$
Présentation Usine C
À l’affiche jusqu’au 23 mars 2018 dans la petite salle de l’Usine C, l’adaptation du Phèdre de Sénèque par Jocelyn Pelletier déboussole les sens et la tête, c’est le moins qu’on puisse dire.
Production à l’intensité explosive, De l’instant et de l’éternité plonge à corps perdu dans les thèmes de la liberté et du désir (jamais bien loin de la haine). Avec deux acteurs, Guillaume Perreault et Isabelle Roy, et dans une scénographie dépouillée, mais chargée de symboles signée Marie-Ève Fortier, le metteur en scène revisite le mythe de l’amour interdit, celui de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte. Problème, Hippolyte a juré chasteté par haine des femmes et rêve d’un territoire débarrassé du carcan de la civilisation.
La version de Sénèque se concentre sur les figures fortes de Phèdre et d’Hippolyte et fait graviter autour d’eux les personnages de la nourrice, qui tente vainement de dissuader sa maîtresse de pourchasser Hippolyte de ses ardeurs, et de Thésée, qui découvre à son retour des Enfers la trahison supposée de son fils. L’adaptation de Jocelyn Pelletier et de Stéphane Lépine en retient des fragments et les transmute sur écran géant aussi bien qu’en déferlement de rage et de passion entre les deux acteurs, brillants et inspirés. Phèdre et Hippolyte mènent une lutte vaine l’un contre l’autre et contre leurs pulsions, qui en font les jouets du destin. Les acteurs magnétisent les regards et trouvent le ton juste pour séduire avec leurs tirades, qui mêlent habilement les vers de Sénèque à l’accent québécois.
Sur le grand écran s’esquissent des jeux d’échelle et de perspective, conçues par Francis-Olivier Métras et créées sur scène par les deux acteurs avec une simple caméra. Les projections donnent une belle ampleur aux tableaux, en accentuant la tension.
Néanmoins, malgré la force des symboles scéniques, le souffle de la distribution et la puissance potentielle du drame humain, De l’instant et de l’éternité paraît se perdre dans l’esthétisme des images qu’elle souhaite créer. Les tableaux s’enchaînent sans former un tout réellement porteur. La scène de l’affrontement entre Hippolyte et le taureau monstrueux envoyé par Neptune sous les ordres d’un père vengeur commence en force, mais s’essouffle rapidement, le public étourdi par une avalanche stroboscopique poussée au point de saturation.
La relecture du mythe proposée par Jocelyn Pelletier offre quelques moments de grande beauté, mais peine au final à sublimer la tragédie qui se joue sous nos yeux.
23-03-2018