Au cœur de la nuit, deux hommes se croisent au détour d’une rue déserte. Le premier est dealer, le second sera donc client. Entre eux s’engage alors une joute verbale dans la langue fulgurante de Koltès, où il sera question de la logique du désir et de l’inéluctable altérité entre les êtres. Pour cette nouvelle création de Sibyllines, deux acteurs d’exception se retrouvent face à face : Sébastien Ricard, complice artistique de longue date de Brigitte Haentjens, et Hugues Frenette qu’elle avait déjà dirigé dans Antigone.
Femme de lettres passionnée, metteure en scène habitée par les questions de l’identité féminine, du pouvoir et de la sexualité, Brigitte Haentjens déploie de spectacle en spectacle une esthétique aussi novatrice que rigoureuse. Poète et homme engagé, Bernard-Marie Koltès a marqué au fer rouge la dramaturgie française par la force poétique de sa langue.
Texte Bernard-Marie Koltès
Mise en scène Brigitte Haentjens
Avec Hugues Frenette et Sébastien Ricard
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance mise en scène et régie Jean Gaudreau
Dramaturgie Mélanie Dumont
Scénographie Anick La Bissonnière
Lumière Alexandre Pilon-Guay
Costumes Julie Charland
Musique Bernard Falaise
Maquillage Angelo Barsetti
Collaboration au mouvement Mélanie Demers + Anne-Marie Jourdenais
Sonorisation Frédéric Auger
Direction technique Jérémi Guilbault Asselin
Direction de production Sébastien Béland
Direction administrative Xavier Inchauspé
Crédit photo Angelo Barsetti
Du mardi au vendredi 20h
Durée 1h10
Tarifs - valables jusqu'à la première (23 janvier)
Régulier 40$
Aîné 36$
Réduit 34$
Une création Sibyllines en codiffusion avec Usine C et en coproduction avec le Théâtre français du CNA
Après s’être attaquée à Combat de nègres et de chiens (1996) et à La nuit juste avant les forêts (1999, 2010), Brigitte Haentjens replonge dans l’œuvre de l’auteur Bernard-Marie Koltès pour présenter Dans la solitude des champs de coton, une joute poétique et philosophique aussi exigeante que brillante.
Afin de mettre le public dans l’ambiance du spectacle, Brigitte Haentjens mise sur une entrée en salle particulière. Les spectateurs sont amenés à circuler dans les corridors mal éclairés de l’Usine C, puis sur un chemin couvert de gravier, avant de patienter près d’une structure métallique rappelant une arène de boxe encerclée par un grillage. Plusieurs minutes passent avant que ce grillage se soulève, permettant ainsi au public d’aller s’asseoir dans l’un ou l’autre des gradins placés face à face. Ce parcours initial entraîne une perte de repères chez le spectateur qui se retrouve dans un no man’s land rendu inquiétant par la musique électroacoustique de Bernard Falaise. Or, cette impression s’estompe rapidement lorsque le spectacle commence et que les comédiens Hugues Frenette (le Dealer) et Sébastien Ricard (le Client) entrent en scène. Sans se regarder, ils avancent l’un vers l’autre jusqu’à la collision initiale, prétexte et point de départ du deal au cœur de la pièce.
Hugues Frenette rend justice à la musicalité de la langue de Koltès. Son interprétation nuancée témoigne d’un énorme travail sur la polysémie du texte, alors qu’il arrive à rendre intelligibles d’immenses tirades remplies de métaphores et de sous-entendus. Le dealer qu’il incarne est dangereusement charismatique et étonnamment calme. À l’inverse, Sébastien Ricard interprète un client nerveux et imprévisible, donnant l’impression qu’il est sous l’influence du crack ou de l’ectasie. Dans sa bouche, les mots s’enchaînent à une vitesse telle qu’il est parfois même difficile d’assimiler toutes les subtilités de son argumentation. Des mouvements brusques et répétitifs accompagnent son jeu presque slammé par moments. Bien que le tempérament opposé des deux personnages sert bien le duel qui a cours sur scène, la progression de l’intensité dramatique aurait gagné à se faire plus lentement. Il faut dire qu’il faut un temps d’adaptation au spectateur avant de se faire l’oreille au ressassement de la langue de Koltès, qui se complexifie à mesure que la pièce avance. Cette dilatation du temps transforme une rencontre qui aurait pu rester très brève en un échange de plus d’une heure.
La mise en scène de Brigitte Haentjens est à mille lieues du déambulatoire audioguidé que Roland Auzé avait proposé l’an dernier au Prospero, dans lequel le public était amené à (pour)suivre les comédiennes dans leurs déplacements. C’est plutôt l’animalité sous-jacente au texte de Koltès qu’Haentjens met en relief par une exploration du corps non naturaliste et par des déplacements continuels. Tout au long de la pièce, le dealer et le client alimentent un jeu d’attraction et de répulsion qui les pousse à arpenter toute la longueur de l’étroitesse de la scène. Tels des animaux traqués, ils apprivoisent le corps de l’autre en l’amadouant lentement, ou encore en cherchant à le déstabiliser par la vitesse. Ce choix a pour effet de fatiguer les acteurs et de laisser transparaître une certaine vulnérabilité dans leur jeu qui sert le propos de la pièce.
La seule maladresse que l’on peut reprocher à la mise en scène d’Haentjens est de présenter une finale flamboyante pour une pièce qui tire sa force de son minimalisme et de sa sobriété. Ce choix donne l’impression qu’elle a fini par manquer de confiance en la puissance du texte de Koltès. Dans la pièce, l’économie de la dernière réplique – Quelle arme ? – tranche avec la démesure des monologues du spectacle tout en invitant le spectateur à imaginer la suite du duel. Le plaquage d’un punch final fait en sorte d’amoindrir le réseau de significations suggéré par l’auteur en détournant l’attention du public vers un effet de scène inutile. Mais cette réserve finale n’empêche pas la pièce de se retrouver parmi les spectacles de l’hiver à ne pas manquer.
28-01-2018