Qui sommes-nous vraiment ? Quelle vérité détenons-nous ? Quelle emprise avons-nous sur notre vie ? et si notre vie n’était que… du théâtre ?
Ivanov, d’Anton Tchekhov, une pièce faite des contradictions, des passions et des désillusions du personnage dont l’œuvre porte le nom, est présenté à l’Espace Geordie, du 24 octobre au 5 novembre 2006. Cette première pièce publique de Tchekhov, rarement montée au Québec, révèle pourtant déjà la grandeur de toute l’œuvre qui suivra.
Isolé dans une petite ville de province en Russie, Ivanov, propriétaire terrien épuisé et croulant sous les dettes, ne rêve que d’une chose : trouver la paix. À peine âgé de 33 ans, il porte déjà sa croix : tout ce qu’il a accompli dans sa jeunesse s’écroule, tombe en ruine ou n’a servi à rien. Épuisé et déprimé, il passe de la mélancolie à la rage, du désespoir au dégoût de lui-même. La constatation désolante de l’échec de sa vie l’amènera devant ce qu’il pense être le seul et unique choix qui lui reste…
Ivanov est un anti-héros, un homme banal qui, d’une certaine façon nous ressemble. Ivanov, c’est un peu chacun d’entre nous, quand à l’heure des bilans, on regarde ce qu’on a réalisé en regard des rêves qui nous portaient. Et son univers n’est peut-être qu’une chimère… Et le nôtre ? Cette comédie dramatique, aux couleurs parfois burlesques, nous place face à nous-mêmes, à nos aspirations, à nos défaites…
Ivanov, une production qui saura vous toucher, dans une mise en scène de daniel paquette surprenante, parfois déstabilisante, sensible. Un classique brillamment revisité, à ne pas manquer !
Traduction : Sarah W. Fisherman, Nikolas Andrééni
avec : Vania Beaubien, David-Alexandre Després, Eve Duranceau, Rose-Maïté Erkoreka, Mathieu Gentes, Bobby Landry, Michel Lavoie, Marie-Pascale, Madeleine Péloquin, Phillipe Thibodeau, Annie Valin
Adaptation et mise en scène : daniel paquetteSource : théâtre du Poisson rouge
Du 24 octobre au 5 novembre 2006
Espace Geordie, 4001, rue Berri
Billetterie : 514-259-3130
Régulier 25$
Carte première 13$ (24-25-29-31 oct. 15h et/ou 20h, 5 nov. 15h)
par David Lefebvre
Ivanov est un homme marié depuis 5 ans à une jeune et jolie juive qui a renoncé à sa religion, à ses parents et à ses biens pour l'homme qu'elle aimait. Ivanov chantait, dansait, s'amusait, réfléchissait. Ivanov est maintenant un homme brisé, incompris, torturé, victime de ragots, endetté par dessus la tête et dont la femme qu'il n'aime même plus se meurt de phtisie (tuberculose pulmonaire). Il se remet totalement en question, mais aucune réponse ne vient. Cet homme ordinaire, cet anti-héros, souffre d'une grave mélancolie qui le ronge, comme la maladie de sa femme. La pente est raide, l'arrivée risque de faire mal.
Il semble qu'à Montréal on apprécie particulièrement Anton Tchekhov, ou du moins on aime le monter. Mis à part la présente pièce, deux autres spectacles sont en préparation, soit Oncle Vania chez Duceppe et La Mouette au TNM. Après Les trois soeurs, présentée l'an dernier au même endroit (Espace Geordie), la Société Richard III nous propose cette fois-ci Ivanov, un des premiers textes de cet auteur russe écrit en 1887. Tchekhov faisait la critique de son temps, des moeurs de l'époque et de son pays, où l'exil semblait une solution utopique, l'argent le seul moyen de s'en sortir indemne et où l'ennui mortel était roi. Ce texte ne fait pas exception, loin de là, étant même la base, selon certains, aux autres textes du grand auteur russe. Par contre, les questionnements du personnage principal sont très actuels. Par le poids de ses responsabilités, de ses illusions de sa jeunesse perdue, de ses rêves, puis par le désenchantement et la dépression, l'homme dépérit, se flétrit, se neutralise. Aujourd'hui, nous pourrions appeler cela un "burn out". Mais Ivanov est aussi une satire d’une société de bourgeois mesquine, hypocrite, en décrépitude, méchante, antisémite et avide de commérages, où le mariage est une transaction économique qui peut être rentable.
crédit photo : Luc Lavergne PhotographeLe metteur en scène daniel paquette réussit encore une fois à rendre accessible un texte qui parle d'ennui et de mélancolie, intensifie par des moments vaudevillesques certaines scènes déjà marrantes, et accentue la nature de quelques personnages par des traits de caractère et physiques (mouvements, maquillages) quelque peu caricaturaux. Même si le ton dramatique parfois répétitif occasionne quelques longueurs inévitables au spectacle, il est relevé par son côté satirique bien exploité. Sans nommer tous les acteurs, notons le jeu posé et juste de Rose-Maïté Erkoreka en Anna (femme d'Ivanov) et celui très physique du buveur invétéré Borkine (David-Alexandre Després), qui nous rappelle parfois les traits faciaux d’un Mr. Bean ou encore les élans corporels d'acteurs du muet. Philippe Thibaudeau joue le mari nostalgique du temps passé, marié à une femme qui porte bien plus que le culotte dans le couple et Mathieu Gentes joue un Docteur Lvov au look légèrement allemand, trop honnête pour son propre bien. Il exhale, par ce fait, une certaine naïveté qui perturbe quelque peu la force de caractère qu'il pourrait dégager pour affronter de face cet Ivanov qu'il méprise. C'est Michel Lavoie qui interprète le rôle-titre ; pourtant, malgré son imposant gabarit, il semble que tout son corps et sa voix supportent le poids du monde ; il incarne l’homme désabusé, ridicule, déchiré. La joyeuse bande de comédiens s'entend bien, heureusement, dans ce si petit espace, meublé de quelques chaises. Les sempiternels arbres sont ici - joli clin d'oeil - "remplacés" par quelques feuilles mortes. Au niveau de l'éclairage, surtout au début de la pièce, une grande partie de la scène se trouve dans une certaines obscurité. Même si les zones d'ombre peuvent souligner le marasme et la mélancolie des personnages dans lesquelles ils semblent se réfugier, l'effet dérange et ceux-ci nous paraissent alors "hors champs".
Quelques chansons sont à l'honneur (puisque aucune bande son n'est utilisée) dont Frou-frou et Le temps des cerises, qui datent tous deux de la fin du XIXe siècle et qui siéent très bien au texte.
L'écrivain russe Maxime Gorki a dit un jour : "Dans l'œuvre de Tchekhov passe un cortège d'esclaves, esclaves de leurs amours, de leur bêtise, de leur paresse ou avidité de bien-être, esclaves d'une peur obscure de la vie, vaguement troublés, remplissant leur existence de discours décousus sur l'avenir, parce qu'ils sentent qu'il n'y a pas de place pour eux dans le présent. " Ivanov avait arrêté de rêver, et tout s'est écroulé ; la réalité l'a déprimé, puis tué. Ne plus être capable de regarder demain en face, n'est-ce pas là l'une des pires choses que l'homme doit justement craindre?
24-10-2006