Du 4 au 22 septembre 2007

Femmes à coudre

Recherche, conception et texte : Marie-Claude Gamache, Martine Laliberté, Nancy Roberge

Après avoir entraîné le spectateur dans le milieu de la prostitution du quartier Centre-Sud avec son déambulatoire théâtralintituléJe sais pas si vous êtes comme moi, La cellule lumière rouge de Mise au jeu le dirige maintenant au cœur de l’univers des femmes et des religions avec Femmes à coudre, du 4 au 22 septembre 2007.

Femmes à coudre conduit le spectateur dans une usine de textile où il sera affecté à un quart de travail. Mêlé aux comédiens, il se voit attribuer un personnage — une ouvrière — dont il emprunte l’identité, le temps de la représentation. Guidé par la voix du contremaître, du prêtre, de l’imam, du rabbin ou du gourou, il reproduit les gestes qu’exécute machinalement l’ouvrière depuis son arrivée à la manufacture, en passant par le punch, jusqu’à ce qu’elle s’installe à la machine : tant de gestes quotidiennement et inlassablement répétés, tel le rituel de la prière.  

Assis à une machine à coudre, il découvre des objets personnels : photos, chapelets, calendriers et diverses notes qui dévoilent plusieurs aspects de la personnalité de l’ouvrière qui y travaille. Il pénètre dans la tête de Leila, femme d’Afrique qui a quitté famille et pays pour amorcer sa quête de liberté. À travers elle, il accède aux  pensées et à l’imagination de ces femmes, découvre un monde foisonnant de rêves, aux saveurs de miel et de figue, à la douceur de tissus orangés virevoltant au-dessus des mers, un monde fait de biscuits qui se métamorphosent en femmes et de serpents aux yeux rouges.  

L’univers montréalais de l’industrie textile dévoile des femmes, en majorité des immigrantes, de cultures et d’appartenances religieuses différentes. Dans ce lieu assourdissant où l’on travaille en solitaire, le spectateur deviendra le témoin privilégié des états d’âme des ouvrières et de leur rapport avec Dieu. Entre la mystique la plus fervente et l’athée la plus féroce, ils devront trouver leur voie, choisir leur transcendance.

Le point de départ de chaque création pour La cellule lumière rouge de Mise au jeu provient toujours d’un questionnement sur un phénomène de société. Je sais pas si vous êtes comme moi, première création de La cellule lumière rouge, abordait le thème de la prostitution de rue. Dans Femmes à coudre, on traite de la  condition des femmes dans les religions en fonction, d’une part, des différentes cultures et croyances et, d’autre part, du rôle que jouent les religions dans la société.

La cellule lumière rouge est formée de Martine Laliberté, Marie-Claude Gamache et Nancy Roberge, toutes trois liées à Mise au jeu, compagnie d’intervention théâtrale participative fondée il y a 16 ans. Inspirée par le courant de théâtre d’intervention développé au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, Mise au jeu produit des œuvres théâtrales originales reflétant les enjeux cruciaux de la société. Depuis sa fondation, près de 400 interventions théâtrales originales ont été présentées à Montréal et en région auprès de groupes d’adultes et de jeunes.

Coordination technique : Mayda Mekerian
Conception sonore et composition musicale : François Lapointe
Conception de l’éclairage et régie : Luc Malette
Accessoires, costumes et graphisme : Gigi Perron
Photographe : Luc Senécal
Aide à la rédaction et correctrice : Julie Van Houtte

Création de la compagnie Le cellule lumière rouge de Mise au jeu

À la manufacture de textile située au
5445, rue de Gaspé, 10e étage, local 1001 (Métro Laurier)
Billetterie : 514-871-0172
Tarif : 25$

par Aurélie Olivier

Depuis 16 ans, la compagnie Mise au Jeu propose des expériences théâtrales participatives traitant d’enjeux sociaux clés. En son sein, La cellule lumière rouge a été créée par Martine Laliberté, Nancy Roberge et Marie-Claude Gamache parce qu’elles avaient à cœur d’aborder des questions qui les touchaient personnellement, à travers des projets dont la forme variable serait conçue pour coller parfaitement au thème considéré.

En 2004, elles nous ont ainsi entraînés dans le milieu de la prostitution, en nous invitant à déambuler dans le quartier Centre-Sud de Montréal. Avec Femmes à coudre, elles nous font découvrir la religion à travers les yeux de femmes travaillant dans une manufacture de textile.

Crédit photo : Luc Senécal

La soixantaine de spectateurs-acteurs est invitée à prendre place, qui derrière une machine à coudre, qui derrière une table à repasser, postes de travail délaissés par leurs occupant(e)s habituel(le)s le temps de la soirée. Sur les oreilles, un casque d’écoute qui diffuse des extraits des multiples entretiens que les trois conceptrices ont réalisés avec des femmes de toutes cultures et de toutes religions. « J’ai personne de ma famille, nous dit l’une. Il n’y a que moi et Dieu. » Et une autre d’affirmer : « Les gens ne voient que le pli de mon voile. […] On ne remarque pas la femme qui marche sous le voile. On ne voit que le tissu. » En choisissant de situer leur création dans une manufacture de textile, lieu où cohabitent de nombreuses femmes issues de l’immigration, de cultures et de religions différentes, la Cellule lumière rouge souhaite également nous faire réfléchir au rapport que nous entretenons avec le vêtement, parfois trop couvrant, parfois pas assez. Aux témoignages réels se mêlent des passages fictifs, qui font écho à ce qui se passe dans l’atelier où quatre comédiens – Monia Chokri, Isabel Dos Santos, Richard Lemire et Claudine Paquette – donnent un aperçu du déroulement d’une journée de travail. Tandis que le contremaître vitupère contre Leila qui a eu l’outrecuidance d’arriver avec quelques minutes de retard, nous sentons un malaise nous gagner. Peu à peu, la crainte d’être à notre tour invectivés par le superviseur s’installe. Quand il passe à côté de nous, nous rentrons notre tête dans nos épaules, avec une assez forte envie de nous fondre dans le décor. Surtout, ne pas se faire remarquer. Se faire tout petit. Disparaître.

 
Crédit photos : Luc Senécal

Tout au long de ce que les créatrices comparent à un « docu-fiction», nous accordons notre attention tantôt à ce qui se dit dans le casque, tantôt à ce qui se passe autour de nous. C’est peut-être là le principal défaut du spectacle : nous confronter à un choix impossible, celui de la partie que nous allons rater. On peut également déplorer que les témoignages choisis manquent de profondeur et n’alimentent pas vraiment notre réflexion, d’autant que le montage qui en a été fait ne soumet à notre écoute que des bribes de phrases de quelques secondes. On reste sur notre faim.

Il n’en demeure pas moins que l’expérience mérite le détour. L’objectif des créatrices était de nous apporter un nouveau regard sur une réalité qui peut nous échapper, de nous déstabiliser. C’est réussi. Avec Femmes à coudre, nous pénétrons dans un lieu parfaitement étranger à bon nombre d’entre nous et découvrons une réalité que nous ne soupçonnions pas ou si peu ou furtivement, celle de Fatima, Khadija, Sky, Judith, Claudine-Claudette, Fatima, Leila, Laurette… qui, chaque jour, épinglent, bâtissent, piquent, surpiquent, brodent et repassent les vêtements qui empliront nos garde-robes. Saluons donc l’audace du projet, sa forme originale et la prise de conscience qu’il peut susciter.

09-09-2007