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Du 19 mars au 5 avril 2008
mercredi au samedi à 20h30 et dimanche 30 mars à 19h


Rencontre avec le bel indifférent

Texte : Jean Cocteau
Mise en scène : Mario Borges
Avec Roxane Bourdages

Comment survivre à la rupture quand on s’est perdu dans l’autre? Quand cet autre était plus important que soi-même? Une femme, seule et anonyme, s’entretient avec son amant disparu. Il n’est plus là pour l’écouter. Qu’importe. Elle se parle à elle-même, à travers lui, afin de se retrouver, se redéfinir, se délester de lui et de toutes les chaînes qu’il lui accroche. Sombrer pour mieux émerger.

L’héroïne de Cocteau est dans une impasse. En conservant la quasi-intégralité du texte et en modifiant la chronologie de certains événements, la compagnie De fil en aiguille fait émerger la lumière et jaillir l’espoir. Un travail microscopique sur le jeu d’acteur. Un spectacle d’une précision et d’une subtilité presque cinématographiques.

Assistance à la mise en scène et régie : Carolynn Cossette
Costumes : Benoît Bérubé
Décors et éclairages : Michel St-Amand
Son : Jimi Marcotte
Direction de production : Marjorie Bélanger, Geneviève Lessard

Une création de la compagnie De fil en aiguille

PÉRIODE PREMIÈRES
du 19 au 30 mars
régulier 20 $
carte premières 10 $

Monument-National (Balustrade)
1182, boul. Saint-Laurent,
Téléphone: (514) 871-9883

par Mélanie Viau

Attendre. Seule. Guetter le moindre son. Une sonnerie de téléphone, un bruit d’ascenseur, un taxi feignant de s’arrêter devant l’immeuble mais non. Il passe son chemin. Terrible tic tac de l’horloge appuyant, à chaque mouvement d’aiguille, le terrible fait que l’amant ne rentre pas. Il ne suffit que de se laisser sombrer dans l’attente de l’être aimé et la raison s’embrouille, se détraque, s’en remet à la merci de la survie. Et soudain le voilà. Le voilà derrière son journal. Le voilà dans son mutisme. La rage s’en mêle, la cruauté devient une arme potentielle, les larmes sont prises à témoin. Le pathétisme mène le jeu et du coup, la vérité et le mensonge ne sont plus que des outils de rhétorique pour assener des coups de fleuret aux bons endroits sur le corps du beau salaud. Une histoire triste, certes, mais si ce n’était que de la poésie ? Qu’y a-t-il derrière les mots quand la raison ne se croit plus elle-même ?

Le projet d’explorer le potentiel scénique de deux monologues de Jean Cocteau, soit Le Bel indifférent (1940, écrit pour Édith Piaf) et Le Menteur (1939, monologue pour l’acteur et amant Jean Marais), a donné naissance à une œuvre originale, signée par le Théâtre de Fil en aiguille, dans laquelle les protagonistes trouvent enfin le dialogue et ouvrent l’affrontement à une dimension théâtrale digne de l’imaginaire émotif de Cocteau. Du coup, la solitude change de signification, un duel s’installe, et les mots demandent à ce que le public prenne parti, car l’on s’adresse à nous. On joue le jeu de la distance et de l’illusion. On nous bombarde de mots en nous disant de ne pas trop y croire, car après tout, Jean Cocteau n’a-t-il pas clamé Le poète est un mensonge qui dit toujours la vérité

L’idée ingénieuse de transformer la scène de la toute petite salle de la Balustrade du Monument-National en salle de bain immaculée avec vue down town sur Montréal (scénographie de Michel St-Amand) donne non seulement un cadre plus «ménagé» que passionnel à l’affrontement, mais ouvre aussi une fenêtre à l’intimité en souffrance qui ne peut se cacher du monde extérieur. Dans les actions que le lieu propose aux personnages, on cherche à afficher leur quotidien, leur caractère, et plus le geste éloigne le personnage de ses propos larmoyants (tel que nettoyer soudainement les cadres de fenêtre), plus on sent un désir d’opacité qui trahit la transparence du personnage. Feindre l’indifférence et du coup tout semble faux. C’est sur ce jeu de la vérité et du mensonge que le metteur en scène Mario Borges modèle sa proposition. Au-delà du mot, on questionne les signes théâtraux.

Roxane Bourdages et Maxime Allard offrent de généreuses performances qui, malheureusement, ne peuvent camoufler quelques instabilités. Le corps vacille avec grâce entre la sensualité et la frigidité, le mouvement s’exprime avec clarté, précision et esthétisme, le déséquilibre reste posé, mais à certains moments le timbre de voix se dérègle, le débit se fait plus rapide, plus pressé. On cherche la respiration, le silence, la seconde de recueillement pour ensuite revenir à la charge. Sans doute la fusion des deux textes contenaient-elle déjà ce risque de riposte rapide et d’explosion soudaine de la parole, tandis que le monologue, à la base, devrait appeler les pauses, en prenant le tend de peser le poids des mots même s’ils trahissent une faillite de la raison. Mario Borges souhaitait que son héroïne n’occupe pas une position de victime. Ce vœu était-il partagé par l’auteur ? La femme, dans ses menaces d’asservissement, vise-t-elle à punir l’autre ou bien à se punir elle ? N’y a-t-il pas plusieurs passages de la pièce où justement, le grotesque exhibe ses manœuvres de masquer la douleur de cette femme qui s’étiolait sur la musique mélo de Juliette Gréco ? Mais l’importance n’est pas là. On y croit et on applaudit.

La Rencontre avec le bel indifférent se fait sans larmoiements superflus, ni grande tension. En compagnie d’une jeune troupe de talent, une troupe qui a des idées et l’audace de les produire, il est certain que vous passerez une bonne soirée. Une question d’aura, de charme.

23-03-2008