Texte d'Alexis Martin
Mise en scène d'Alexis Martin
Avec Pierre Lebeau, Émilie Bibeau, François Létourneau, Jacques L'Heureux et Gary Boudreault
Gilles, jeune étudiant en philosophie, est issu d’un milieu aisé et vit un amour désassorti avec une fougueuse barmaid, Guylaine, dont le frère Bob fricote avec la pègre. Plongé dans le pétrin à cause d’un règlement de comptes, Bob demande à Gilles d’aller livrer un document important au véreux Matroni. Cette rencontre provoque des étincelles et un débat d’idées éclate entre les deux hommes. Menaces et séquestration ne suffiront pas à intimider le jeune homme qui restera enfermé dans ses convictions jusqu’à l’arrivée impromptue de son père.
Créé en 1994 par Alexis Martin, Matroni et moi est une pièce phare du théâtre québécois. Présentée pour la première fois en lecture au Nouveau Théâtre expérimental en décembre 1994, elle fut ensuite présentée sur scène à Montréal et Québec de 1995 à 1997. La pièce fut publiée aux éditions Leméac en 1997 et fit l’objet d’une adaptation cinématographique en 1999, une réalisation de Jean-Philippe Duval.
Scénographie : David Gaucher
Éclairage: Jean-François Couture
Musique : Benoit Charest
Costumes: Claire Geoffrion
Vidéo : JF Dugas
Une production de Larivée Cabot Champagne http://www.myspace.com/matronietmoi
par David Lefebvre
"Y'a un temps pour le féminisss, et y'a un temps pour qu'les affaires roulent..."
- M. Matroni
N’ayons pas peur des mots : Matroni et moi est une pièce désopilante, au texte doublement culte, grâce à sa première présentation au théâtre et à la tournée qui a suivi entre 1995 et 1997, puis à sa présentation sur grand écran dans les salles obscures de la province en 1999. C'est un scénario bien ficelé, aux "punchs" inspirés et aux nombreuses citations savoureuses (comme celle en début de texte), de nature naïve ou intellectuelle, que nous propose de (re)découvrir son auteur (et metteur en scène pour cette mouture), Alexis Martin. Juxtaposant avec dérision, mais aussi avec amour, deux langues parlées, celle de la rue, celle des gens moins instruits, versus celle, lyriques, des universitaires et des avocats, Matroni et moi ne semble pas avoir la prétention de se moquer de ces lacunes ou de cette tranchée qui se creuse entre les gens, au contraire : grâce au couple de Guylaine, une barmaid qui veut retourner aux études et Gilles, jeune intello qui dépose un mémoire sur la mort de Dieu dans notre société moderne, l'auteur nous prouve que cette relation est viable, possible, voire naturelle et même touchante.
En résumé, la pièce porte sur le personnage de Gilles Larochelle (surprenant et excellent François Létourneau, parfait dans ce rôle qu'occupait Martin à l'époque), qui est amoureux de la jeune Guylaine (Émilie Bibeau, juste, malgré le sentiment de déséquilibre du personnage qui balance entre la petite poupée fragile qui ne demande que d’être heureuse et la supposée barmaid au caractère fort et assumé), rencontrée aux États-Unis. À son arrivée à Montréal, dans l'appartement de Guylaine, Gilles est confronté au frère de celle-ci, Bob (incarné par Gary Boudreault), qui fricote avec le monde interlope. Blessé à la tête, il demande à Gilles d'aller porter un message à son boss, M. Matroni (Pierre Lebeau), qui occupe une chambre au Sheraton (on se rappellera que dans le film, cette scène se passe plutôt sur un terrain de recyclage de ferraille (une cour à scrap). Gilles se voit obligé d'aller livrer le message, même si toutes les fibres de son être s’opposent à cet acte qui approuverait tout le mal que ces gens, sans scrupule et sans justice apparente, font à la société. Buté, il fait donc une petite modification au message... Juste avant le petit matin, M. Matroni débarque à l'appartement de Guylaine et demande des explications ; de ce fait, le père de Gilles arrive aussi, et c'est le débat, puis l'affrontement, aux conséquences et aux nouvelles inattendues.
Crédit photo : Yves Renaud
Les quatre comédiens, presque en huis clos (deux décors sont utilisés, soit l'appartement avec une grande fenêtre, et la chambre d'hôtel, reproduite grâce à une porte provenant des coulisses et un grand rideau tiré sur lequel on projette des images vivantes de Montréal), s'amusent totalement dans cet univers particulier, certes, mais stimulant, étonnant. Car, sous la couche humoristique de ce texte, se trouvent quelques perles de pensées philosophiques qui sont fort pertinentes. D'abord sur la disparition d'une figure divine et de l'impact majeur que cela cause, puis, et surtout, sur le "père" : celui absent (comme le Dieu disparu), celui remplaçant, accusateur, sauveur, cynique. Matroni joue un de ces rôles, l'avouant devant le frère de Guylaine, alors qu'il avoue avoir été un père pour lui : «Je t’ai donné la vie !» lui dira-t-il. Mais c'est lors de l'altercation entre Gilles et son paternel que tout se dit réellement, parfois avec véhémence, rancoeur. Jacques L'Heureux joue un M. Larochelle atteint de plein fouet par la vie, basculant vers l’ailleurs, avec moins de cynisme que le faisait Pierre Curzi dans le film, mais avec plus de détresse, d'amertume. On y parle aussi de fautes, celles du père qu’on ne peut pas faire porter au fils…
Comédie assumée, jouant souvent sur l’humour produit par les écarts de langage, au discours philosophique sur l’homme, sur sa perte de repère, sur la justice humaine, divine et sociale ainsi que de l’engourdissement général de l’humain, Matroni et moi divertit sans contredit le public conquis, et ce, malgré quelques bémols. Les personnages mafieux pourraient bénéficier d’un peu plus de panache et le suspens, de mordant – le danger auquel font face les protagonistes semble anodin. Une mention particulière à François Létourneau, qui chausse de larges souliers, mais qui brille dans la peau de ce jeune intellectuel bavard, idéaliste et engagé.