Texte Lars Norén
Mise en scène Robert Drouin
Avec Geneviève Arsenault, Jean-Philippe Baril Guérard, Isabeau Blanche, Cynthia Bourgeois, Maxime de Munck, Johnatan Gallant, Patrick Golau, Raphaël Lacaille, Andrée-Anne Lacasse, Sophie Montreuil
Suède, les années 1990. Un cirque de personnages aussi lucides que névrosés profitent de leur passage dans une clinique psychiatrique où les médecins et les infirmiers se font rares pour se confier l’un à l’autre, même si personne ne s’écoute vraiment. Portrait d’une classe en marge et exclue de la société. Crises (Kliniken) a valu à son auteur le Nordic Drama Award en 1998.
Fondé en 1995 par Anne-Marie Théroux et Robert Drouin, le Théâtre En l’air s’est d’abord intéressé au jeu masqué, au clown, à l’acrobatie dramatique et à la marionnette. Crises est sa première incursion dans le théâtre réaliste.
Assistance à la mise en scène, éclairages et régie Jérémie Guilbault Asselin
Date Premières : du 8 au 12 décembre
Régulier 20$
Carte premières : 10$
Relâche les 14 et 18 décembre
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Une création du Théâtre En l’air
Espace 4001 (Geordie)
4001, rue Berri
Billetterie : 514-903-4426
theatreenlair@videotron.ca
par Mélanie Viau
Au jeu d’échecs, les fous sont les plus près du roi
Proverbe français
Dans la salle commune d’un asile psychiatrique hors normes, la loi du plus fort dicte les errances et les dialogues sourds. Sur le mur, le menu du jour, des mots suédois tout en « K » comme des claquements de langue. Un huis clos ouvert sur le monde et pourtant sombre, froid, sale, embaumant la maladie générale de tous ces petits cas particuliers. Nous sommes à la fin du siècle dernier, au cœur d’une des « pièces mortes » de Lars Noren, dans le désastre certain d’un capitalisme montant. Pièce documentaire ayant remporté le Nordic Drama Award 1998, Crises (Kliniken) pose un diagnostic-choc sur l’état de santé d’une société néolibérale atomisée par la détresse psychologique. Véritable maître du jeu ludique, le metteur en scène Robert Drouin signe cette première aventure dans le théâtre réaliste avec un doigté d’une incroyable justesse, mené par une inspiration lucide et une sensibilité des plus touchantes.
Délaissant les marionnettes, les masques et le jeu clownesque, le Théâtre en l’Air présente, dans la petite boîte noire de l’Espace 4001, le fruit d’un atelier travaillé ardemment par dix fringants comédiens formés à l’École de théâtre de Saint-Hyacinthe. Une cuvée riche et éclatante, pour qui le jeu est devenu un mode d’expression naturel qui n’a point faire des faux clichés psychosomatiques liés à la schizophrénie. Et si la maladie mentale était si près de nous qu’il est devenu chose normale de l’enfiler comme un gant ? Soit, la galerie de personnages qui partage avec nous l’espace exigu du théâtre ne peut nous imposer un détachement. En effet, malgré cette surdose d’égos et de diatribes masquées par un dialogue tournant autour de sa propre queue, on s’accroche et voue une réelle empathie à ces désaxés réactifs aux pulsions de vie et de mort. Sans dresser une liste exhaustive des patients pourrissants avec plaisir, côte à côte, devant les émissions jeunesse scandinaves ou dans le salon des fumeurs, faisons ici un joli clin d’œil à Klara (Sophie Montreuil), arpentant la pièce en mâchonnant des bouts de papier, geignant comme un animal à force d’avoir perdu tout symbolisme social. Il y a aussi Roger (Raphaël Lacaille), à l’énergie redoutable, au tempérament hystérique, grossier et violent, pour qui les codes scatologiques servent férocement à exprimer ses tendances nazies. Et que dire d’Erika (Andrée-Anne Lacasse), la dépersonnalisée, qui pour retrouver un semblant de vie normale, « s’impersonnalise » avec la grâce des personnalités les plus influentes du cinéma, de la télé et de la politique. Devant nous, des âmes, des corps, sans filtre ni figure décorative, nous exposent un passé trouble dans un monde de plus en plus troublé.
À croire que cet espace a été crée pour être leur, rarement nous aurons vu une utilisation aussi optimale de la scène et du hors scène de la petite boîte noire de la rue Berri. Installée solidement en marge de la grande société culturelle, Crises fait partie de ces œuvres vivantes qui ne demandent qu’à s’approcher un peu plus près de nous pour un partage de vérité. Un spectacle de talent, rageusement humain.