Texte Werner Schwab
Traduction Mike Sens et Michael Bugdahn
Mise en scène Daniel Paquette
Avec Anne-Juliette Larcher, Anne-Marie Ouellet, Vanessa Seiler
Trois femmes se tiennent dans une cuisine grotesque et se parlent sans s’écouter. Erna, l'économe, peut se servir de papier toilette en lieu et place d'un filtre à café, voue une admiration sans borne pour son charcutier et porte le fardeau de son fils alcoolique. Grete, reine de beauté flétrie, pense que c'est le destin qui a voulu que sa propre fille, quand elle était aussi belle que sa mère, soit punie par son père dans le lit conjugal. Marie, la plus jeune d'entre elles, refuse de mettre des gants de caoutchoucs quand on vient la chercher pour déboucher les toilettes des gens distingués et reçoit les remerciements du prêtre « parce qu’elle le fait sans ». Toutes les trois passent leur temps dans une cuisine où elles rêvent la vie qu’elles voudraient. Et, le rêve se fait si intense qu’il finit par prendre le dessus sur la réalité, en sortant « un danger de mort du chapeau pour le ramener à la surface de la vie ».
Werner Schwab naît en 1958 à Graz en Autriche. Après des études interrompues aux beaux-arts, il s'isole dans une maison de campagne où il devient bûcheron-sculpteur, et commence à écrire pour le théâtre, cette « cochonnerie ennuyeuse où l'on peut mourir d'ennui contre paiement ». Dès sa première pièce, Les présidentes, il connaît un succès fulgurant. Il écrira 15 pièces en 4 ans, avant de mourir d’épuisement à l’âge de 36 ans…
Le collectif Second Souffle s’intéresse aux choses qu’on ne dit pas. Celles que l’on ne veut pas voir, celles que l’on ne peut pas voir, celles qui n’ont pas de mot pour être nommées. Nous nous intéressons plus particulièrement aux femmes dans la société postmoderne. La solitude, la quête effrénée d’on ne sait quoi, l’image que l’on projette, la femme dans le monde et le monde dans la femme sont les thèmes au cœur de notre recherche. Notre premier spectacle, Quand je serai petite…, une création collective, a été présenté en juin 2008, au Théâtre Prospero, dans le cadre du Midi-Minuit.
Goethe-Institut
418 rue Sherbrooke Est
Réservation et information : compagniesecondsouffle@gmail.com
par Olivier Dumas
Le collectif Second Souffle nous fait découvrir un dramaturge autrichien pratiquement inconnu au Québec. Auteur d’une quinzaine de pièces virulentes sur la société occidentale, Werner Schwab (1958-1993) possède une plume susceptible de plaire aux amateurs de théâtre coup-de-poing. Sous la gouverne de daniel paquette, trois comédiennes s’éclatent dans Les Présidentes, une farce grotesque avide de vocabulaire excrémentiel.
Dans une cuisine, trois femmes caricaturales se parlent sans véritablement établir de dialogue. Coiffées d’un affreux chapeau de fourrure trouvé dans les poubelles, Erna (Vanessa Seiler) est assez pingre pour se servir de papier hygiénique comme filtre à café, se pâme pour son charcutier et porte le fardeau de son fils alcoolique. Grete (Anne-Julie Larcher), reine de beauté fanée, condamne le destin qui a voulu que sa propre fille soit abusée par son père dans le lit conjugal. Marie (Anne-Marie Ouellet), la plus jeune d'entre elles, raconte avec émotion son occupation préférée: aller déboucher les toilettes des gens de la bourgeoisie en refusant de mettre des gants de caoutchouc. Toutes les trois se morfondent dans une cuisine où elles rêvent d’une vie qui leur échappe de plus en plus.
Pour Werner Schwab, le théâtre représente le lieu d’une déchetterie supérieure, où trône un langage ordurier parfumé d’expressions fécales. Ses personnages de petites bourgeoises frustrées par une réalité aliénante s’engouffrent dans la duperie, les rêves inaccessibles et les fantasmes sexuels qu’elles semblent incapables d’assouvir. L’univers dans lequel les trois femmes gravitent peut évoquer par certains aspects les Belles-sœurs de Michel Tremblay en raison de leur vulgarité et de leur inaptitude à transcender leur médiocrité ambiante dans une société oppressante.
Le spectateur averti doit être en mesure de comprendre au second degré, car, à première vue, le texte peut sembler être une triviale enfilade de lieux communs et d’expressions grivoises juste bonnes à choquer les âmes bien pensantes. Or, avec le recul, il est impossible de rester insensible devant une telle charge tonitruante, celle d’un peuple englouti dans son confort indifférent et son dédain à lever le voile sur les aspects les moins glorieux de son passé sombre. L’écriture de Werner Schwab se veut un coup de pied aux conventions étriquées, à la tapisserie des belles actions scéniques. Dans la lignée des Thomas Bernhardt et des Elfriede Jelinek également originaires d’Autriche, sa plume aime tremper son encre dans le vitriol et la cruauté verbale. Les situations saugrenues confrontent souvent le public avec un rire jaune pour camoufler la tragédie de la banalité. Les Présidentes est de cette eau qui a les odeurs d’égout.
Ma légère déception vient de la mise en scène de daniel paquette qui ne s’imprègne pas assez du côté grotesque et clownesque des répliques et des situations. Qu’il s’agisse de la gestuelle des comédiennes ou encore du choix des costumes assez sobres, un accent de folie et d’exagération aurait probablement mieux servi l’artificialité des situations évoquées. D’autant plus que l’auteur veut contrer le théâtre conventionnel qu’il qualifie de «cochonnerie ennuyeuse où l’on peut mourir d’ennui contre paiement».
Avec seulement deux représentations, les trois actrices ont relevé un défi colossal. Les répliques truffées de détails, de délires sexuels et de termes scatologiques semblaient par moment difficile à se mettre en bouche. Le soir de la première, les comédiennes ont buté à quelques reprises, une situation normale dans les circonstances. Par ailleurs, elles ne semblaient pas encore totalement habitées par leurs personnages. Fort heureusement, leur présence, leur complicité et leur aplomb ont su révéler de bons moments théâtraux, comme les dégoûtants débouchages de toilette de Marie, la démarche vaporeuse à souhait de Grete et les amusantes allures de pimbêches d’Erna. On ne peut que souligner leur générosité et leur passion à insuffler vie et ardeur à ces ratées pathétiques.
Dommage que les spectateurs aient été peu nombreux à se déplacer à l’Institut Goethe pour les applaudir.