Ces rubriques regroupent des événements, souvent tragiques, qui sont à première vue sans portée générale, sociale, politique ou économique. Ces tragédies du quotidien, appelées en argot « les chiens écrasés », se déclinent tels des « événements du jour ». Leurs protagonistes, tristes étoiles filantes, défraient la manchette brièvement avant de sombrer à tout jamais dans l’oubli.
Nous sommes faits (comme des rats) c’est donc cinq histoires tirées de faits divers québécois des dix dernières années, que cinq auteurs professionnels de la relève théâtrale (Rébecca Déraspe, Catherine Dorion, Justin Laramée, Jean-Philippe Lehoux et Gilles Poulin-Denis) ont épluchés. Ainsi, ils se sont projetés dans la tête de ces antihéros ayant commis des actes incompréhensibles pour le commun des mortels. Il en résulte cinq monologues, drôles et touchants, à travers lesquels les principaux acteurs de ces drames ordinaires se livrent à nous dans la lumière crue.
Au-delà des quelques lignes sensationnalistes qui les figent dans les rubriques des grands quotidiens, le spectacle leur offre un espace de « liberté inconditionnelle », une tribune pour expliquer ce qui les a conduits à commettre ces actes troublants et incongrus. Car le théâtre a une liberté rare et précieuse, que n’a pas la justice : celle d’échapper au jugement, de chercher à comprendre le « fou » ou le « méchant » pour reconnaître en lui une part de nous-mêmes.
Conception sonore et régie Gaël Lane-Lépine
Conseillère en mouvements Caroline Laurin-Beaucage
Costumes Marzia Pellissier
Crédit photo Jimmi Francoeur
Production Les Biches Pensives
par Olivier Dumas
Les faits divers constituent souvent une vache à lait lucrative pour les médias. À saveur sensationnaliste et déshumanisante, ce genre d’histoires a inspiré la troupe les Biches pensives pour leur nouveau spectacle, Nous sommes faits (comme des rats). En dépit d’une certaine inégalité dans la qualité des textes, la soirée passée à la Cinémathèque québécoise se révèle fort divertissante, avec un soupçon d’impertinence.
Nous sommes faits (comme des rats) est composé de cinq monologues inspirés d’autant de faits divers, écrits par Justin Laramée, Gilles Poulin-Denis, Jean-Philippe Lehoux, Catherine Dorion et Rébecca Déraspe. Dirigés avec beaucoup d’énergie et de naturel par Alexia Bürger, les acteurs Dominique Leclerc, Sébastien René, Sébastien Leclerc, Hubert Lemire et Annie Darisse incarnent cinq individus ordinaires qui ont connu, malgré eux, leur quart d’heure de gloire dans les gazettes.
Se déroulant dans différentes régions québécoises après le funeste 11 septembre 2001, la pièce Nous sommes faits (comme des rats) veut mettre en lumière des drames humains qui cherchent à transcender avec l’instantanéité et la superficialité du traitement médiatique. À Verdun, une trentenaire chute d’un troisième étage (Laramée); un jeune homme disparaît après avoir abandonné sa voiture dans le stationnement des Galeries d’Anjou (Poulin-Denis); un individu en peine d’amour se jette avec sa camionnette dans les portes du Centre Bell (Lehoux); un résident du quartier Saint-Roch de Québec est poursuivi par la Banque Nationale (Dorion) ; des actes de vandalisme ont été commis dans un cimetière au Saguenay-Lac-Saint-Jean (Désrape).
Les meilleurs textes demeurent ceux de Charles Poulin-Denis et Catherine Dorion. L’écriture de Poulin-Denis se démarque par son sens aiguisé des détails anodins du quotidien, son rythme effréné et le ton caustique d’un personnage touchant par l’amoncèlement de ses malheurs. L’interprétation de Sébastien René se révèle remarquable dans un rôle qu’il habite de tous les muscles de son corps. L’auteure Catherine Dorion a développé une histoire prenante et touchante, mariant une gravité crédible à une situation peu commune. Elle a su parfaitement jongler entre un humour sarcastique et une tension dramatique touchante.
Le principal danger pour un spectacle de monologues qui rappellent les incontournables Contes urbains est d’éviter l’exercice de style. Et malheureusement, cette impression ressort à quelques reprises dans Nous sommes faits (comme des rats). La conclusion nébuleuse de la première histoire se termine en queue de poisson alors que sa progression dramatique s’avérait captivante. Par ailleurs, les textes de Jean-Philippe Lehoux et de Rébecca Déraspe manquent de punch, de souffle et d’images fortes pour frapper l’esprit des spectateurs, comme si les dramaturges n’avaient pas voulu trop s’éloigner de la facture trop simplifiée du fait divers. Pas assez élaborée, l’héroïne de Déraspe laissait beaucoup de zones d’ombres en dépit desquelles la comédienne Annie Darisse a cherché à émouvoir.
Tout compte fait, Nous sommes faits (comme des rats) nous révèle le talent indéniable de comédiens enthousiastes, en plus de nous faire découvrir une metteure en scène prometteuse. En quittant la salle, un sentiment de chercher au-delà des apparences, souvent plus tumultueuses que l’œil laisse entrevoir, nous envahit.