(extraits du communiqué)
« […] un garçon avec du feu dans son corps tout en nerfs […] tente de retenir, en usant de tous les mots dont il dispose, un inconnu qu’il a abordé dans la rue, un soir où il était seul, seul à en mourir. Il parle, parle aussi frénétiquement qu’il ferait l’amour, il dit son univers : ces banlieues où il pleut, où l’on traîne sans travailler et où pourtant l’usine guette […], ces rues où l’on cherche un être ou une chambre pour une nuit, pour un fragment de nuit, où l’on fait l’amour sur un pont avec une fille qu’on ne reverra plus et qui est belle comme un mythe, où l’on se cogne à des loubards partant à la chasse aux ratons, aux pédés, bref un univers nocturne où il est étranger – un métèque en somme – et qu’il fuit en se cognant partout, dans sa difficulté d’être et sa fureur de vivre. [Un] texte d’un lyrisme sauvage et familier, [un] texte qui est un appel, un cri de tendresse. »
C’est ainsi que Gilles Sandier exprimait, en 1978, dans Politique-Hebdo, son émerveillement pour le texte de Bernard-Marie Koltès, La nuit juste avant les forêts.
Assistance à la mise en scène et régie : Colette Drouin
Lumière : Guy Simard
Costume : Julie Charland
Maquillage et coiffure : Angelo Barsetti
Collaboration à la scénographie : Anick La Bissonnière
Direction technique : Jean-François Landry
Direction de production : Sébastien Bélan
mardi au samedi à 20h
Une production de Sibyllines, compagnie de création
Sibyllines
661, rue Rose-de-Lima
Billetterie : 514 845-7277 (Théâtre de Quat’Sous)
par Olivier Dumas
Dans un immeuble désaffecté du quartier Saint-Henri, Brigitte Haentjens revisite avec bonheur et pertinence La nuit juste avant la forêt de Bernard-Marie Koltès, une pièce qu’elle avait déjà auparavant montée avec James Hyndman. Créée en France en off au Festival d’Avignon à la fin des années 1970, cette œuvre majeure est considérée comme l’un des plus vibrants témoignages de l’isolement qu’ont ait pu voir dans le théâtre contemporain.
Comédien de prédilection de la metteure en scène, Sébastien Ricard donne son corps, son souffle et sa voix à un homme écorché qui tente, par ses minimes moyens, de retenir un inconnu qu’il a abordé dans la rue, un soir de profonde solitude. Comme à une bouée de sauvetage, il s’accroche à cet être presque fantomatique, dont on n’entend jamais la voix, pour ne pas crever dans un monde rude et décadent.
La nuit juste avant la forêt est un monologue de quarante-cinq minutes expédié comme un cri d’urgence saccadé, sans interruption, sans ponctuation et sans baisse d’intensité. Koltès propose un univers rude et une écriture qui exigent une adhésion totale susceptible de repousser les spectateurs apeurés par tant de noirceur où l’espoir demeure impossible. Avis aux âmes sensibles!
Après deux incursions légèrement décevantes dans les univers de Georg Büchner et de Sarah Kane ces dernières années, Brigitte Haentjens retrouve une félicité certaine avec un texte dont elle décode les moindres détails et la poésie singulière d’un artiste dont elle parle comme d’un choc amoureux. Avec Bernard-Marie Koltès, elle parvient à trouver le difficile équilibre entre la douceur de la confession intime et la violence d’un cri qui se révélera en fin de compte avorté. La metteure en scène a réduit le lieu théâtral à un coin de la bâtisse où le comédien et les spectateurs occupent un espace triangulaire d’une troublante proximité. L’interprétation que donne Ricard de cette figure solitaire demeure stupéfiante et bouleversante de vérité, de révolte impossible, rendant son désir d’une plus grande fraternité entre les humains encore plus émouvant. Toute la puissance de cette écriture aussi lucide que complexe en ressort avec encore plus d’intensité.
Déjà au moment de sa première médiatique, le spectacle avait trouvé son rythme. Qualifié d’univers dangereux par de réputés metteurs en scène, La nuit juste avant les forêts constitue l’une des expériences qu’il faut saisir au passage. Rarement le théâtre nous aura tendu un miroir aussi cruel de notre fragile carcasse d’inhumanité.