Applaudi en Asie et en Europe depuis sa création en 2001, le Woyzeck du Sadari Movement Laboratory frappe par sa structure éclatée et son atmosphère insolite qui évoque un inquiétant carnaval. Le metteur en scène Do-Wan Im a voulu exploiter le potentiel de cette oeuvre influente et énigmatique du théâtre moderne, en imaginant une version reposant sur une gestuelle hybride, inspirée par la danse, le mime et l’acrobatie. Côté scénographie, l’imagination règne et l’utilisation ultra ingénieuse des chaises ravit. Uniques accessoires scéniques, elles font l’objet d’une multitude de configurations – personnages, cage, psychée - réalisées à la vitesse de l’éclair durant les quelques secondes de « noir » qui ponctuent la succession des tableaux, par ailleurs superbement éclair
Éclairages : Tae-Hwan Gu
Musique Astor Piazzolla
La pièce est donnée en coréen, avec surtitres en français et en anglais. Le jeudi 18 novembre, une discussion avec les artistes aura lieu après la représentation.
Billets : de 15,94$ à 24,81$
Production Sadari Movement Lab
par David Lefebvre
Le Sadari Movement Lab promène maintenant depuis une décennie sa version fort intéressante du texte prisé, mais inachevé, du dramaturge allemand Georg Büchner, Woyzeck. Le talentueux metteur en scène et chorégraphe, Do-Wan Im, expliquait aux médias que ce texte faisait écho, au début de la création, à une sévère crise économique en Corée, et qu'il voyait en plusieurs compatriotes des Wolzeck en puissance. Le tourment, le harcèlement, la calomnie, la trahison et la frustration sont au cœur de ce spectacle hybride et intrigant.
Montée maintes fois depuis que Bertold Brecht l'a fait connaître à ses contemporains, cette pièce, fragmentée, permet aux différents créateurs d'y apporter leur propre vision de l'oeuvre. La particularité de cette adaptation réside dans la transposition du propos, de la poésie et des différents thèmes vers une partition théâtrale physique jumelée à la danse contemporaine. Le verbe est donc en bonne partie remplacé par l'image et le mouvement. En bonne partie, puisque restent quelques bribes de texte, dites dans la langue d'origine des créateurs et dans un anglais malheureusement parfois difficile à comprendre. La composition des tableaux, réalisée en groupe, est une merveille pour l'oeil. Les images qui ouvrent chaque scène sont évocatrices et souvent d'une grande puissance, appuyées par une magnifique conception d'éclairage tout aussi sombre que lumineuse.
Les onze comédiens-danseurs font preuve d'une grande précision dans le mouvement, d’une rapidité et d'une force dans la symétrie et le chaos calculé. Un choeur, largement inspiré de la tragédie grecque, est formé autour des personnages principaux et vient amplifier certains moments du récit ou émotions, jouant le rôle de soldats, de médecins, ou reproduisant un souffle de vent dans un cimetière, un carnaval ou des voix dans la tête de Woyzeck. Sur le jeu plane l'ombre de Lecoq, chez qui Do-Wan Im a acquis quelques connaissances ; les expressions sont senties et sont au centre de la partie plus théâtrale de la production.
Les seuls accessoires sur scène sont des chaises en bois, qui, en transcendant leur état premier, agissent comme de véritables métaphores: maniées, lancées, emboîtées, tournoyantes, elles représentent l'ordre, la confusion, le pouvoir, la hiérarchie, l'oppression. Si tous les tableaux captent l'attention du spectateur et l'entraînent dans un récit visuel d'une superbe accessibilité, la douzième et dernière scène, alors que Woyzeck assassine son amante Marie, déçoit légèrement. Alors qu'on aurait cru à une finale aux émotions palpables et déchirantes, même si elles demeuraient retenues, tout est d'une trop grande sobriété, propreté, et la chorégraphie se contente de reprendre rapidement plusieurs thèmes des autres tableaux. Par contre, le concept de l'épilogue est amusant, se livrant sous forme de générique, reprenant là aussi plusieurs images fortes de l'histoire pour y présenter les différents personnages. Une certaine cinématographie émane du spectacle, venant peut-être faire un clin d'oeil au film de Herzog.
L'ensemble serait plutôt froid si ce n'était de la remarquable trame sonore composée de plusieurs pièces d'Astor Piazzolla, qui colle parfaitement à la mise en scène.
Oeuvre fusionnant avec succès plusieurs disciplines artistiques, ce Woyzeck coréen se veut réellement surprenant, accessible et suscite ravissement et admiration.