Dans un quartier de la ville, vous vous déplacez dans trois lieux pour rencontrer quatre personnages différents. Dans un hôtel, un homme d’affaire se confie: entre la pression de la performance au travail et sa vie de père de famille, il a dû faire un choix cruel... Dans un lieu mystérieux, une femme raconte l’histoire d’amour passionnée et impitoyable qu’elle a vécu avec son professeur, alors qu’elle était à l’école secondaire. Et finalement, au bout du parcours, dans un restaurant, un couple mormon vous raconte une de leur plus inoubliable soirée entre amis, qui coïncide avec leur sixième anniversaire de rencontre. Seulement, les amoureux ne sont pas blancs comme neige...
Cet homme, cette femme et ce couple, aux histoires largement apparentées aux tragédies antiques, viennent vous confesser sans artifice scénique leurs pulsions dévastatrices. Parce que leurs révélations leur permettra de « mettre de l’ordre » dans leur univers et de réaliser l’ampleur de leurs actes. En sont-ils vraiment responsable ? À partir de quand un acte devient violent ?
Présentée en première francophone Nord-Américaine, la pièce bash est une des premières de Neil LaBute, auteur américain joué régulièrement sur Broadway.
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Responsable des transitions : Maxime Béliveau
Tarif: 20$ régulier, 18$ étudiant
Une production de Théâtre Néo-Trique - événement Facebook
Hotel ZERO 1 Montréal
1, boulevard René-Lévesque Est
Billetterie : 514-564-7479 ou au theatreneotrique@gmail.com
par David Lefebvre
L’auteur et réalisateur Neil LaBute (In the Company of Men, The Wicker Man) propose au travers de ses nombreux textes de théâtre – pensons à Autobahn, présenté à la Licorne il y a quelques années, ou plus récemment à Fat Pig au Théâtre Ste-Catherine ou à The Shape of Things à l’Espace 4001 – un style très masculin, incisif, aux accents très familiers et aux nombreux clins d’œil à la culture populaire. L’une de ses premières créations pour les planches, Bash, regroupe trois courtes pièces en un acte, deux monologues et un récit en parallèle, explorant toute la complexité de la violence et de la notion du mal dans un univers perverti de gens ordinaires.
Pour son premier projet, le Théâtre Néo-Trique présente, en première nord-américaine, la version française de ce triptyque qui avait fait scandale off-Broadway, et qui, selon les dires, aurait poussé l’auteur à quitter sa communauté religieuse après qu’elle lui ait imposé une sanction disciplinaire. C’est que chaque personnage provient d’une branche différente de la religion mormone, et celle-ci aurait vu en Bash un texte diffamatoire.
Le comédien Vincent Côté traduit avec acuité et force cette écriture à la fois obscure, floue à la surface, notamment à cause des nombreux tics verbaux ou « ponctuants oraux », mais profondément vicieuse, fourbe. Comme si l’on marchait dans un espace de plus en plus sombre, et qu’une trappe s’ouvrait sous nos pieds. La mise en scène de Frédérick Moreau (Le système Ribadier, Le Dindon remix) met le texte en valeur, grâce à une belle distribution et une direction précise, où chaque détail compte, que ce soit les regards, les intonations ou encore la manière de tenir une bouteille. Pour plonger davantage le spectateur au cœur de ces histoires noires, celui-ci est convié à trois endroits différents : un hôtel, une salle de répétition, qui fait office de salle d’interrogatoire, et un restaurant. Un déambulatoire, donc, qui tire grandement parti des lieux réels, mais qui, par ses déplacements, y perd malheureusement au change. L’intensité de chacune des trois parties profite des endroits qui collent expressément à chaque récit, mais s’effrite lorsque le groupe doit se déplacer durant de longues minutes d’un point à l’autre, et ce, malgré la trame sonore hétéroclite de Maxime Béliveau, accompagnant les marcheurs, crachée par de petites stéréos que les guides transportent, offrant bruits, battements de cœur et extraits musicaux variés, allant de Billie Holliday à Likke Li, en passant par Alela Diane et Bernard Herrmann. Le premier soir, alors que le spectacle devait durer environ 100 minutes excluant les déplacements, le tout s’est terminé après trois heures de représentation.
Iphigénie en orem raconte l’épreuve d’un père de famille et homme d’affaires, MBA en poche, qui voit son poste être possiblement aboli au profit d’une collègue qu’il exècre. Le jour même qu’il apprend la rumeur, sa plus jeune fille, Emma, meurt étouffée sous le couvre-lit du lit de ses parents. Hasard? Récit sur la pression professionnelle et familiale, l’homme fait de durs choix, voire cruels. Vincent Côté incarne avec assurance et fragilité cet homme qui ressent terriblement le besoin de se confier ; comme il ne peut le faire ni à la police, ni à la maison, ni au bureau, c’est le premier venu, dans cette suite d’hôtel, qui écope. Si le comédien est juste et même touchant, démontrant à demi-mot le vide existentiel et la rationalisation de ce funeste événement d’aucune noblesse, le public se positionne mal envers son propre rôle, principalement parce que le personnage passe de la deuxième personne du singulier à la deuxième personne du pluriel (le tu - le vous). Du témoin invisible singulier, le public se transforme en une foule qui écoute attentivement l’homme ; sommes-nous une seule entité ou un groupe en conférence? Pour amplifier le sentiment de voyeurisme et l’intensité du drame, peut-être aurait-il mieux fallu qu’une seule personne soit prise à part pour jouer ce rôle précis.
Si le titre du premier texte évoque la mythologie grecque, le deuxième, Medea Redux, y fait directement référence, grâce à Euripide. Elle raconte le récit de cette femme qui, à ses treize ans, connut une histoire d’amour avec un de ses professeurs, jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Martine-Marie Lalande, d’un ton parfois détaché, parfois très adolescent, se confesse, elle aussi, à propos de cette passion dévorante, dont elle goutte encore sur ses lèvres le tout premier baiser, et du triste sort de son fils Billy. La comédienne maitrise bien la langue et ses sautes d’humeur ; grâce aux longs silences, elle maintient l’attention de chaque spectateur. Sournoisement, LaBute parle de la motivation d’une jeune femme à se venger, sans même qu’elle comprenne réellement l’impact ultime de ses gestes ; une Médée on ne peut plus moderne. Un froid parcourt la salle lorsqu’elle mentionne tout bonnement qu’elle planifiait son geste depuis beaucoup plus longtemps qu’on ne pourrait l’imaginer.
La dernière partie, Une meute de saints, place côte à côte un couple parfait, interprété par Guillaume Perreault (John) et Fanny Migneault-Lecavalier (Sue), au milieu d’un restaurant. À New York pour un grand party (un bash) qui coïncide avec leur sixième anniversaire de rencontre, deux tourtereaux et leurs amis festoient allègrement. Le récit, raconté en parallèle, les comédiens ne s’adressant jamais la parole, commence sur un ton léger, naviguant de clichés de collège américain, d’ex petit-ami se faisant tabasser par le nouvel élu, à clichés de familles conservatrices. Une fois la jeune femme bien endormie dans son lit à l’hôtel, le copain et deux comparses du collège se promènent dans Central Park et tombent sur un homosexuel qu’ils battent à mort, tout en priant autour du corps en sang ; un acte d’une hypocrisie redoutable. John donne à Sue, lors du déjeuner, une bague en or, qu’il a volé au doigt de l’homme mortellement blessé. Si la fille représente une certaine naïveté, malgré son excitation à la vue du sang, lui est l’incarnation de l’horreur sous les traits d’un bel homme. L’excitation, l’arrogance et le détachement dont il fait preuve subjuguent et font craindre le pire. Les derniers moments font comprendre que John n’en sortira pas indemne, tout comme les deux protagonistes des histoires précédentes.
Bash n’offre que peu de réponses, et provoque un continuel questionnement sur l’amoralité, l’insouciance, les pulsions, les atrocités commises au nom d’une certaine futilité et les valeurs intrinsèques corrompues. Aucune rédemption, aucune sortie de secours ; comment des hommes et des femmes ordinaires peuvent-ils causer la mort, faire un mal effroyable autour d’eux et à eux-mêmes, pour de si insignifiants résultats au plan social? Où commence la violence? Et s'arrête-t-elle un jour?
Montée à travers le monde depuis sa création en 1999, Bash demeure une pièce tout aussi horrifiante que fascinante. Le jeu des comédiens est solide, et la mise en scène, sans choquer, permet au texte de se frayer un chemin jusqu’à notre esprit perturbé. Dommage qu’il ait le temps d’absorber totalement les coups, lors des longs déplacements entre chaque morceau.