Depuis son premier monologue créé au Théâtre de Quat’Sous en 1968, Yvon Deschamps a écrit une œuvre immense, à la fois simple et grandiose, comique et impitoyable, aussi acerbe qu’émouvante. Le boss est mort marque le grand retour, cette fois-ci comme auteur, de cet artiste émérite. Benoit Brière interprètera le personnage créé par Deschamps il y a maintenant quarante ans, dans un texte inspiré de ses premiers monologues, miroir éloquent d’une société sortant de sa misère pour affirmer sa liberté autant que sa fragilité.
Scénographie Michel Crête
Direction de production Michel Rioux
Une production de Théâtre de Quat'Sous
Dates antérieures (entre autres)
Quat'Sous du 15 février au 5 mars 2011
Monument-National 22 et 23 avril 2011 (supplémentaires)
Théâtre du Vieux-Terebonne 17-18-19 mars 2011
Salle André-Mathieu 25-26-27 mars 2011
L'Étoile 8 et 9 avril 2011
Salle Albert-Rousseau 14-15-16 avril 2011
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Théâtre Desjardins
17 février 2012
Salle Albert-Rousseau 2-3 avril 2012
par David Lefebvre
Les mots du plus célèbre monologuiste du Québec, Monsieur Yvon Deschamps, sont enfin de retour à la maison, et ce, une quarantaine d’années après les toutes premières représentations de l’Osstidsho, né dans ce petit théâtre de la rue des Pins.
Le boss est mort est une véritable rétrospective, un regard en arrière privilégié sur certains des plus grands monologues de l’auteur et humoriste. Le noyau central est, évidemment, le texte « La mort du boss », présenté pour la première fois au milieu des années 70. Viennent se greffer des extraits, entre autres, de « Les unions, qu’ossa donna », « US qu’on s’en va », « Dans ma cour » et « Le bonheur », passant ainsi en revue, tout en adaptant ici et là de superbe façon, le travail immense d’Yvon Deschamps.
En plus d’une critique sociale d’une simplicité et d’une intelligence rare, ce texte patchwork propose aussi d’explorer une multitude de thèmes chers à l’auteur, dont les conditions de travail, le racisme, la sexualité, le mariage, le patronat, la violence, la famille, la pauvreté, les regrets. Pourtant, en unissant plusieurs parties de monologues, on découvre avec surprise qu’un sujet majeur rôde dans tous les textes de Deschamps, soit celui de la mort. Évoquée directement par le décès de sa femme, du boss, ou plus subtilement dans les menaces de la mère, les figures religieuses, la réflexion sur l’éternité, jusqu’aux nouvelles télévisées, la mort semble être un thème tout aussi saisissant qu’insaisissable pour l’auteur.
Dominic Champagne et Benoît Brière avaient un spectaculaire défi de transposition : faire passer de la scène au théâtre ces textes devenus des classiques aujourd’hui, sans trahir, sans imiter. Brière, en acteur accompli, parvient, avec une vibrante sensibilité, à incarner le fameux gars de la shop, dans toute sa naïveté et sa fragilité, à créer une version bien à lui tout en multipliant les clins d’œil à l’auteur et interprète original. Sa démarche est nerveuse, inquiète, et on le suit au travers ses réflexions, ses souvenirs, ses doutes et ses niaiseries. Le langage est respecté à la lettre, et si le français est amoché, il rappelle toute la saveur du parler de l’époque.
Tout en respectant l’humour un peu absurde de Deschamps, Dominic Champagne – qui signe ici sa première mise en scène au Quat’Sous – privilégie un ton plus sérieux, plus dramatique, conférant à ce discours du solitaire un ton intimiste, terriblement touchant. Le travail avec Benoît Brière est de l’ordre de l’orfèvrerie : chaque détail compte, de la voix chevrotante ou assurée aux mains qui se frictionnent. Tout est dans l’attente, dans la décision qui ne vient jamais. Attention : on rit, beaucoup ; pourtant, les esclaffements semblent retenus, comme si le rire était ranimé par le souvenir du gag plutôt que par le gag lui-même. On peut alors prédire que la pièce sera une découverte fabuleuse pour les plus jeunes, ou ceux et celles qui n’ont pas suivi la carrière de M. Deschamps. Pour les autres, c’est le plaisir de redécouvrir, de se remémorer et de replonger dans toutes les subtilités et toute la dérision de ces monologues, si éloquents d’une société en plein changement. Si Deschamps s’inspirait des gens autour de lui pour écrire, l’expression « qui aime bien châtie bien » est tout à fait de mise.
Pour rendre encore plus tangible et réaliste le personnage du gars de la shop, Michel Crête, à la scénographie, place le personnage au pied d’une cage d’escalier, tout en bois. Elle rappelle les vieilles constructions, le Montréal des quartiers ouvriers. Les éclairages de Martin Labrecque viennent appuyer à la perfection les différentes émotions qui se dégagent des histoires drôles ou tragiques, tout comme la superbe musique au piano de Michel Smith.
Avec une finale qui arrache les larmes et un soupir de soulagement, un sentiment qui ne se retrouvait pas dans le monologue original, Le boss est mort s’avère un voyage fantastique au cœur de cinq années d’écriture d’un monument de l’humour québécois.