On désigne au hasard un spectateur comme coupable. Coupable de quoi ? Coupable de se taire, de ne pas réagir lorsque la justice dérape et délire. Mais peu à peu, la cour et les témoins passent de l'accusation à l'autocritique : tout le monde est coupable lorsque la justice est une mascarade.
Cherchant à la fois ludisme et intimité, la mission première du Théâtre À Petit Feu est de faire découvrir des textes ainsi que la relève artistique montréalaise, tant sur le plan du jeu que de la scénographie.
Éclairages Maxime Da Silva
Décor, costumes et accessoires Elen Ewing
Son Carol Bergeron
Chorégraphe Louise Lussier
Cartes Prem1ères
Date Premières : 15 au 21 mars 2012
Régulier : 24$
Carte premières : 12$
Production Théâtre À petit feu
par Pascale St-Onge
Avoir une tête de criminel
Certains créateurs adoreraient avoir une tribune pour se vider le coeur et exprimer leur colère face au public de théâtre, et ce, pour de multiples raisons. Sans aucune méchanceté, mais plutôt avec humour, c'est exactement ce que fait la toute première production du Théâtre à Petit Feu.
Ce qui s'apparente d'abord à une caricature amusante de notre système de justice et du pouvoir du jugement des apparences se transforme peu à peu en une réelle critique subtile, mais pertinente, du milieu théâtral. Pour commencer la représentation, on nous présente un exposé sur la physiognomonie, cette science qui disait qu'on pouvait voir la criminalité dans les caractéristiques physiques de la tête d'un humain. Par la suite, on accuse un spectateur d'un crime flou, voire inexistant ; les preuves et pièces à conviction données sont plus que douteuses et l'hystérie est au rendez-vous chez les différents représentants de la justice (notamment Manon Lussier, hilarante juge de cette distribution).
Les membres de l'accueil, comédiens cachés, s'ajoutent à la distribution et deviennent des témoins importants de cette affaire et contribuent à faire de ce procès farfelu un véritable spectacle de foire. Et le public, prévisible, ne réagit pas. On lui donne la parole et il demeure muet. L'auteur, Matéi Visniec, laisse transparaître une certaine colère face à ce silence solidaire des spectateurs et il en vient à tout tenter pour les provoquer (même à se personnifier lui-même dans la pièce). Malgré le peu de moyens, Michel-Maxime Legault nous offre une mise en scène inventive qui nous permet d'apprécier pleinement le dynamisme de l'action de cette pièce. Le rapport « bifrontal » du public permet une belle proximité entre personnages et assistance et le tout permet d'assumer la théâtralité déjà fortement présente dans le jeu des comédiens.
Si la justice est ici dépeinte comme une farce, le pouvoir du spectateur sur un spectacle est aussi dénoncé. « En supposant que le théâtre existe », le spectateur peut mettre tout acteur en pièce, tuer le théâtre et ses conventions fragiles. À la fois, on accuse le silence du public, l'inaction et comment il se protège lui-même de la scène et de ce qui s'y passe. Le spectateur qui juge dans l'inaction condamne certains spectacles à mourir. On essaie d'expliquer ce phénomène étrange par tous les moyens : même le metteur en scène y passe et tente d'aider le procès.
« En supposant que le théâtre existe », le coupable ici nommé existe-t-il vraiment? Est-il réellement spectateur ou acteur aussi de toute cette mascarade? La limite entre le réel et la fiction est volontairement floue et le doute dure jusqu'à la sortie de la salle. On en sort avec une impression d'ignorance inquiétante sur ce qui vient de nous être présenté. La justice et le théâtre sont les grandes victimes presque indéfendables de ce spectacle aux allures premières de simple divertissement. Car le divertissement, il est là. On rit franchement et on est vite amusé de ce petit jeu dans lequel on nous embarque et voilà qu'au détour la réelle critique nous surprend alors qu'on ne l'attendait plus.