Deux personnages , LUI et ELLE, déversent leur vie devant une caméra : lui raconte son voyage et ses recherches sonores dans le désert américain, elle son ancien métier où elle ne cessait de parler face à une caméra branchée en permanence. Cet étrange couple s’est rencontré lorsque lui effectuait une réparation dans le studio où elle enregistrait. La pièce traite de l’incapacité à communiquer de ces deux personnages qui sont incapables de se dire quoi que ce soit, y compris “je t’aime” sans passer par une caméra.
Falk Richter est un des auteurs et metteurs en scène allemands les plus marquants de sa génération. Comme auteur, il est aujourd’hui un des principaux moteurs de la création contemporaine berlinoise et européenne, depuis sa venue au Festival d’Avignon. Depuis son premier texte «Alles in einer Nacht» (1996), jusqu’à «TRUST» (2010 ) , il pose la question de l’homme moderne, survivant dans un monde ultra technologique et ultra capitaliste (ultra mondialisé) . DIEU EST UN DJ a été crée au Staatstheater Mainz en 1999.
Assistance à la mise en scène : Émilie Martel, Jérémie Boucher
Dramaturgie et blog : Guillaume Corbeil
Direction technique et conception : Sylvain Béland
Scénographie et costumes : Ariane Thibodeau
Vidéo : Laurent Schaer
Musique et son : Jérôme Guilleaume
Assistance direction technique : Colin Gagné
Production et administration : Sophie Martin-Achard
Informatique et réseau : Walid Van Boetzelaer
Traduction : Anne Monfort
Équipe Métalab (SAT) : Alexandre Quessy, Michal Seta, Mike Wozniewski, Nicolas Bouillot, Michaël Richard
Diffusé dans le cadre du Mapping Festival à Genève et de la Biennale internationale d’art numérique (BIAN) à Montréal - www.bianmontreal.ca
Tarifs: 20$ (pré-vente en ligne) / 25$ (à la porte)
Une production insanë - www.insan-e.net/dieuestundj
par David Lefebvre
La compagnie de théâtre multidisciplinaire insanë propose, depuis quelque temps, des projets qui osent revisiter les modes fondamentaux du théâtre et ses codes intrinsèques, et ce, avec ingéniosité. La présente création, Dieu est un DJ, est une preuve éloquente de ces recherches conduites ici par les metteurs en scène Vincent De Repentigny, de Montréal, et Julien Brun, de Genève.
Falk Richter, auteur allemand qu’on avait pu découvrir récemment grâce à Trust, lors du Festival Transamériques de 2011, signe cette pièce contemporaine qui place deux individus, un homme et une femme, devant des caméras. Tous leurs faits et gestes sont captés et montés pour une exposition muséale. Entre les discussions, la cuisine à faire et les faux flashbacks sur le moment de leur rencontre, Lui appréhende la séparation et fantasme sur la violence dont il pourrait faire preuve et ainsi démontrer son amour pour Elle, alors qu’Elle le talonne à propos de cet enfant à naître dont ils doivent décider du sort. La partition de Richter fouille les thèmes de la vie par l'image, ou le désir de devenir « l'image de soi » dans un monde hyper médiatisé, où la téléréalité est reine. Warhol disait que chaque personne connaîtrait son 15 minutes de gloire ; aujourd'hui, grâce aux réseaux sociaux et au web 2.0, certains ne peuvent plus vivre sans les yeux des autres braqués sur eux, comme si leur existence en dépendait. Richter aborde aussi (l'illusion de) la sincérité, la véracité des propos du quotidien, ou de l'amour, la vie n’étant que pure performance ; il explore la zone sombre qui se situe entre la vérité et la fiction, jusqu'à les confondre, et la difficulté de plus en plus grandissante de communiquer dans un monde pourtant plus ouvert que jamais. Insanë pousse encore plus loin la réflexion de l'Allemand en séparant corporellement les deux comédiens, les positionnant dans deux lieux distincts, soit Étienne Blanchette à Montréal, et Pascale Güdel à Genève. Leur image est réciproquement retransmise dans le décor de l'autre, jouant ensemble dans un non-lieu : la scène de théâtre se dématérialise, se « skypise », se recrée dans un monde qui n'existe pas, entre le Québec et la Suisse. Chaque public n'a, en fait, que la moitié du spectacle réel, l'autre étant virtuel. L’intangibilité devient étrangement réalité dès que les images des deux comédiens se juxtaposent sur le mur-écran, les faisant évoluer ensemble dans un espace inexistant. On se questionne sur la nécessité de la proximité des partenaires de jeu ; la réflexion de Richter est alors portée à son paroxysme.
Le texte est plutôt chaotique, hyperréaliste, distancié, et pourrait faire croire à une proposition souvent improvisée. Pourtant, cette promenade, qui semble à priori confuse, est précise, adroite. Les deux comédiens sont plutôt solides et naturels. Étienne Blanchette, en plus de jouer, est aux commandes de la trame sonore, ayant à sa portée ordinateur et console de mixage. Il commence d'ailleurs seul en piste avec un long monologue sur un supposé voyage dans la Vallée de la mort, où il se fait arnaquer par une jeune femme qui lui vole tout, et qui est retrouvée assassinée quelques jours plus tard, par un camionneur. Vérité? Invention? Plus tard, il ira jusqu'à raconter de façon presque enfantine les sévices d'un père pédophile. Toute la pièce surfe ainsi sur la fiction, sur la création d'un moi, d'une histoire, d'une vérité qui n'existe nulle part.
La technologie utilisée, qui est quand même surprenante malgré une occasionnelle mauvaise qualité d'image que l'on pardonne facilement, aurait pu supplanter la réflexion que propose Dieu est un DJ ; heureusement, elle vient ici l'enrichir, ouvrir d'autres portes, poser encore plus de questions. Si la plupart des effets vidéo et visuels ont déjà été vus et expérimentés auparavant sur scène, l'intérêt principal provient du direct, de cet échange « live » qui ébranle les conventions théâtrales. Néanmoins, à mi-parcours, la proposition manque de souffle, frappe un mur et tourne en rond. Même si le vide que l’on ressent fortement, dans les échanges et les silences, fait partie de l’expérience et de l’écriture de Richter, Vincent De Repentigny et Julien Brun n’arrivent pas totalement à lui octroyer un sens plus profond, plus fondamental. Malgré tout, Dieu est un DJ demeure une proposition très intéressante qui interroge l’existence par l’image, et de façon sous-jacente, le puissant (ou déstabilisant) apport d’une technologie de pointe à un objet théâtral conventionnel.