Viv décide de tout quitter pour surveiller le point d’équilibre du monde se trouvant dans un appartement abandonné d’un immeuble en voie de démolition. Son ami Nelson vient tenter de la raisonner, sans succès et l’entêtement de la jeune fille causera sa perte. Un chef de chantier maniaque et ambitieux, son épouse parfaite maîtresse de maison, une agente paranoïaque, une vieille femme-folle et un voleur unijambiste se retrouveront au cœur de la tourmente que crée la disparition de Viv. Chacun à leur tour exécutera des numéros pour tenter de continuer à maintenir le monde en équilibre sans pouvoir éviter que la fin du monde survienne.
À la première lecture, ce qui ressort de ce texte est la critique du capitalisme de notre société mais il jette aussi un regard acerbe sur le besoin de l’humain de se sauver soi-même avant de sauver l’humanité en péril par sa propre faute. Le théâtre des petits pas de géants propose un regard en amont de cette œuvre en mettant l’emphase sur la première période de l’enfance, celle où le bébé découvre le monde concret des objets, développe un attachement particulier avec la mère et que l’adulte s’occupe de ses besoins primordiaux (se loger, se nourrir par exemple). Ainsi, la mise en scène tourne autour de ces thèmes représentés par les objets de la pièce (la couverture, le sac de Chips) mais aussi par la relation de Viv avec Nelson alors que la première représente la grande prêtresse du monde tandis que Nelson prend le rôle de la mère nourricière.
Assistance à la mise en scène : Kathleen Aubert
Dramaturgie : Laurence Perreault-Rousseau
Direction de production : Sophie Duchesneau
Conception décor et costumes : Sophie Rachelle Currie
Conception des éclairages : Sarah-Katerine Lutz
Conception d'environement sonore : Steve Lalonde
Directrice des communications : Catherine Arsenault
Cartes Prem1ères
Date Premières : 7 au 10 septembre 2011
Régulier : 21$
Étudiants / aînés / UDA : 17$
Carte premières : 10,50$
21$ tarif régulier / 17$ tarif étudiant-aîné-UDA
Une production du Théâtre des petits pas de géants - Page Facebook
par Olivier Dumas
Au Québec, Edward Bond demeure malheureusement une figure méconnue. Les principaux théâtres institutionnels ne mettent pratiquement jamais à l’affiche ses pièces malgré leurs indéniables qualités. C’est ainsi une occasion en or que nous offre une toute jeune compagnie, le Théâtre des petits pas de géants, en proposant Le numéro d’équilibre, un spectacle corrosif au Centre Calixa-Lavallée du Parc Lafontaine.
Le polyvalent homme de théâtre anglais a écrit plus d’une trentaine d’œuvres (dont plusieurs traduites en français) qui amalgament l’art poétique et une virulente critique d’une société contemporaine en pleine décrépitude. Ses textes présentent des individus qui peu à peu se laissent corrompre par une société qui leur inculque le mensonge, la crainte de l’autre et l’individualisme.
En apparence simple, l’histoire dévoile peu à peu une jungle où les créatures les plus outrancières triomphent des plus faibles. Jeune femme d’une extrême vulnérabilité, Viv a tout balancé derrière elle pour s’isoler des êtres humains et trouver un point d’équilibre sur le sol d’un appartement abandonné. L’immeuble est en voie de démolition. Son ami Nelson veut la raisonner et la nourrir, en lui apportant des sacs de croustilles. Malheureusement, la squatteuse refuse toute aide et meurt dans les ruines. Malgré ses efforts, Nelson ne retrouvera jamais son corps. Dans ses recherches, il rencontre une ribambelle de personnages tout aussi grotesques et retors les uns des autres: un chef de chantier aux instincts meurtriers, son épouse aux allures de poupée Barbie, une méprisante et vicieuse travailleuse sociale, une clocharde confuse et un voleur qui se fait passer pour un unijambiste. À tour de rôle, chacun joue son numéro dans une parfaite insouciance qui n’empêchera pas l’éclatement du monde.
Le texte constitue à lui seul un morceau de virtuosité. Pendant près de deux heures, des pointes d’humour absurde s’imbriquent au pessimisme d’une civilisation à la dérive dans ses obsessions délirantes et son dédain de toute vision de bien commun. Plusieurs passages font rigoler : entre autres, la scène où la travailleuse sociale accuse Nelson d’avoir assassiné son amie sans aucune preuve révèle à elle seule les grandes lignes d’une idéologie moralisatrice de certaines professions soi-disant humanistes. L’auteur dissèque ici avec la précision d’un scalpel la pensée (ou peut-être son absence) et les préjugés d’une droite dite libertaire si omniprésente dans les médias.
La scénographie de Sophie Rachelle Curry traduit bien les différences de ton du texte. Soulignons au passage les immenses rideaux transparents en plastique des premières scènes qui évoquent autant le vide physique du lieu que l’état psychique de Viv dans les derniers instants avant sa mort, un amoncellement de sacs de croustilles peu de temps après l’effondrement de l’appartement ou encore l’explosif dénouement avec pétards et confettis qui tombent même sur les spectateurs.
Le metteur en scène Louis-Karl Tremblay a extirpé de son quatuor d’acteurs toutes les facéties, nuances ou excès qui collent à la nature des différents protagonistes. Mickaël Lamoureux est touchant de vulnérabilité dans la peau d’un Nelson altruiste victime de la bêtise et de l’opportunisme des autres. Alessia De Salis compose une hilarante travailleuse sociale sans empathie et dominatrice face à sa clientèle fragilisée par une économie néolibérale. Parmi les trois rôles qu’elle incarne tout au long de la pièce, Aurélie Morgane s’illustre particulièrement dans celui de la vieille clocharde pathétique à la recherche de son fils perdu. En faux voleur unijambiste, Olivier Mercure a reçu des applaudissements mérités pendant la représentation lors de la chorégraphie qu’il effectue avec sa béquille pour quêter quelques sous.
En ce début de saison théâtrale achalandée, le Théâtre des petits pas de géants et son Numéro d’équilibre valent le détour par leur humour sombre et leur vision percutante d’un monde atrophié.