Allemagne, 1933. La classe ouvrière et la bourgeoisie capitulent devant la machine nazie qui parvient, en entretenant un climat d'incertitude constante, à créer un monde où bourreaux et victimes glissent vers la folie. La terreur s'immisce peu à peu dans l'intimité de chacun. Des parents craignent d'être dénoncés par leurs propres enfants, un couple se disloque autour du déni de l'antisémitisme, des amis n'osent plus parler de l'essentiel de peur d'être arrêtés. Ne jamais révéler son opinion, ne jamais contester l'autorité, ne jamais divulguer ses émotions. Garder le silence absolu, voilà la nouvelle règle du jeu.
Comment se libérer de la paranoïa ambiante, comment décrire la perversité d'un régime qui intimide, séduit et en vient à contrôler tout un peuple? Brecht, exilé, y parvient en déployant son humour caustique et lucide dans une série de paraboles cinglantes.
Fruit d'une recherche de plusieurs années, la mise en scène de René Migliaccio, directeur artistique du Black Moon Theatre Company de New York, met l'accent sur le réalisme expressionniste. Placé derrière un écran transparent qui reçoit des projections cinématographiques, l'acteur évolue dans un espace amplifié. La gestuelle du comédien crée un masque qui engage tout le corps et magnifie l'existence de son personnage. L'acteur devient ainsi l'instrument d'un rituel primitif. La complémentarité entre les projections et le jeu théâtral sur un plateau dénudé propose au spectateur une lecture polysémique de la pièce. Par sa cohérence et sa fluidité, la mise en scène, à la fois monstrative et équivoque, transforme le texte rythmé de Bertolt Brecht en une performance unique.
Présentée pour la première fois à Montréal, cette adaptation de Grand-peur et misère du IIIe Reich est le résultat d'une collaboration entre le Théâtre Artefact et la Black Moon Theatre Company. Cette adaptation est aussi une métaphore du monde actuel, où la peur de l'autre nourrit le cynisme et l'oppression. Le nazisme est une expression politique extrême des peurs et des désirs les plus profonds de l'être humain : en cela, il n'est pas un accident de l'Histoire.
Section vidéo
une vidéo disponible
Assistance à la mise en scène: Priscille Amsler et Prometheas Constantinides
Adaptation: Prometheas Constantinides et René Migliaccio
Éclairages: Stephanie Johnson
Décors et accessoires: Anne-Marie Blanchet
Costumes: Oleksandra Lykova
Images et montage vidéo: René Migliaccio
Durée 1h40
Prix régulier 25 $, étudiant 15$.
Une production Théâtre Artefact
par Pascale St-Onge
Allemagne, 1933. Sans jamais questionner la raison d'être du conflit encore à naître au pays et dont chacun connait les répercussions graves qui s'en sont suivies, la pièce de Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIIe Reich, montée en tableaux, se concentre sur le quotidien des Allemands obsédés d'être dénoncés par quiconque. Dans l'intimité de différentes classes sociales, la pièce explore les effets de la menace, du manque de confiance en les autres, de la rumeur, etc. Bref, c'est la peur sous tous les angles possibles.
Il est rare de voir autant de comédiens à la fois sur la toute petite scène de l'Espace 4001 et ce n'est pas pour rien. Il est ambitieux de croire que la mise en scène n'en sera pas affectée et somme toute, l'orchestration de tous ces corps se fait plutôt bien, mais ce spectacle voit tout de même beaucoup trop grand pour le peu de moyen qu'il a. On le ressent surtout dans le type de jeu choisi : le « réalisme expressionniste » selon le metteur en scène René Migliaccio, très physique et clownesque (les maquillages le rappellent également) semble surdimensionné; mais aussi par le choix d'utiliser cette projection en continu, sur un écran installé à l'avant-scène et sur toute la largeur de cet espace. Par ce dernier choix, l'étouffement est un sentiment qui prend d'assaut le spectateur très rapidement. Les projections, bien qu'intéressantes lors des premières minutes de spectacle, deviennent vite répétitives, mais soulignent surtout, par ces gros plans sur les visages angoissés des comédiens, un sentiment déjà omniprésent dans la production : celui d'être sans cesse surveillé par tous.
Bien que la sélection des scènes de l'oeuvre entière est déjà petite (huit scènes dans cette production, sur les 24 originales), la pièce s'étire et devient malheureusement interminable bien que la mise en scène soit plutôt bien ficelée. C'est un sentiment étrange qui demeure après la pièce, car de façon générale, il n'y a pas de faux pas majeur qui nous empêche d'apprécier le spectacle. Celui-ci commence d'ailleurs en force et les rares moments de choeur sont forts réussis, mais les scènes ne tardent pas à faire chuter l'intérêt qu'on pourrait porter à la représentation.
Pourquoi Théâtre Artefact a-t-il voulu nous raconter ces histoires aujourd'hui, en 2012 ? Dur à dire. Il est primordial pour une société de se prévenir d'une manipulation et d'un climat de peur dont ont été victimes les Allemands. Il est facile par ses moyens de bâtir la haine et la recherche dramaturgique ici effectuée nous le signale bien, mais somme toute, nous faisons face à une proposition assez traditionnelle de la pièce de Brecht, une pièce sans grande surprise.